Rencontrer le Christ, aimer la France
Ce dont je vais parler ici – le lien entre conversion au Christ et amour de la France – va sans doute en choquer plus d’un : le christianisme n’est-il pas une religion universelle, « catholique », notamment, signifiant « universel » ? Et pourtant, les entretiens que j’ai menés pour la rédaction de mon livre Ils ont choisi le Christ, consacré aux convertis de l’islam, m’ont tous amené à faire ce constat : quand un musulman de France embrasse le catholicisme, cela inclut pour lui la France. Je parle bien du catholicisme, parce qu’un converti, devenu pasteur évangélique, m’a vertement reproché d’avoir trop insisté sur cet aspect.
C’est pourtant un fait incontestable, et essentiel.

Artège, 2019
J’ai vécu cette semaine, dans un bus, une expérience pénible qui permet de mieux mesurer l’enjeu. Un homme d’une cinquantaine d’années, d’origine algérienne (il s’en vantait) a passé son temps à insulter à haute voix la France et les Français, cette « race de chiens et de bâtards » que « les Arabes vont bientôt foutre dehors ». Personne, bien sûr, et surtout pas moi, n’a réagi. Humiliation, tristesse, colère, haine. L’enjeu de l’amour de la France, et des Français, par des personnes d’origine musulmane apparaît donc essentiel, pour éviter le pire.
Les témoignages de convertis sont à cet égard pleins d’espérance, quoique très divers. En voici quelques-uns, très résumés.
Éric, d’origine malienne, a toujours aimé l’Histoire de France et de ses rois. Comme, à l’adolescence, iI était attiré par la délinquance, ses parents lui ont donné, ainsi qu’à son frère, un ultimatum : s’engager dans l’Armée, ou retourner « au bled ». Il a choisi l’Armée, tandis que son frère préférait le bled, d’où il est revenu radicalisé. Là, dans un régiment ancien de cavalerie créé sous l’Ancien Régime, Éric a retrouvé sa passion de l’Histoire. Un dimanche, lors d’une mission en Côte d’Ivoire, le sergent a demandé qui voulait aller à la messe. Il a répondu « oui », simplement pour pouvoir sortir du camp. Et c’est là qu’il a rencontré le Christ. Au retour, son lieutenant lui a donné sa vieille Bible, qu’il a dévorée… Devenu un catholique fervent et engagé, Éric ne dissocie pas sa foi de son amour de la France.
Guy, d’origine algérienne, était un lycéen attiré par le salafisme quand il a été séduit, en Terminale, par la personnalité de son professeur de philosophie. À tel point qu’ils sont restés en relation après son baccalauréat. L’enseignant lui a, un soir, autour d’un verre, parlé de son engagement philosophique et politique dans des mouvements où l’on aime la France, où Guy l’a suivi. Mais il a, alors, pris conscience que cet amour impliquait son adhésion à la foi qui, il le ressentait profondément, avait irrigué ce pays pendant des siècles. Il a demandé le baptême, entraînant sa sœur dans son sillage.
Karim, avocat parisien, s’est converti au terme d’un long cheminement, accompli grâce à son épouse catholique, rencontrée à la faculté de droit, et à son beau-père, qui priait ardemment pour cela. Très tôt engagé en politique, il a effectué plusieurs mandats d’adjoint au Maire dans une municipalité de gauche de la banlieue parisienne. Baptisé, il a brusquement pris conscience du lien inextricable unissant la France à sa nouvelle religion, et a poursuivi son engagement politique dans des mouvements où l’on fait profession d’aimer ce pays plutôt que de le dénigrer, ou de lui préférer son régime politique actuel.
Bien d’autres témoignages, tous différents, tous émouvants, pourraient venir étayer ce fait que, devenant catholiques, les anciens musulmans trouvent naturel d’aimer la France, ou que, commençant à aimer la France, ils souhaitent embrasser la foi catholique. Je parle de « foi », pas de « religion », car je n’ai pas rencontré chez eux d’adhésion purement intellectuelle à une institution dont ils auraient une conception politique. Ils ont rencontré le Christ, pas l’Église qui d’ailleurs, trop souvent, s’est dérobée à eux. J’évoquerai cela dans un prochain article.
Alors, bien sûr, on peut relativiser ce lien entre la conversion et la France en considérant que ces convertis ont adhéré au pays où ils vivaient. Italiens, ils auraient aimé l’Italie, espagnols, l’Espagne… C’est tout-à-fait possible. Saint Paul invite les croyants à respecter les autorités du pays où ils habitent. Le Père Bernard Peyrous, dans son livre Connaître et aimer son pays [1], montre que chaque pays a son identité propre, sa vocation particulière, qu’il importe de discerner et aimer. Si Joseph Fadelle, converti persécuté en Irak, n’aurait pas imaginé se réfugier ailleurs qu’en France, l’égyptienne Nawed Mahmood Mettwalli, dans la même situation, a préféré la Hollande.
Cela n’empêche pas que la France semble avoir, dans le Plan divin, une mission spécifique de « fille aînée de l’Église ». Ce que rappelait la douloureuse interrogation de Jean-Paul II le 28 mai 1980 au Bourget :
« France, fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? (…) France, fille aînée de l’Église et éducatrice des peuples, es-tu fidèle, pour le bien de l’homme, à l’alliance avec la sagesse éternelle ? ».
On pourrait multiplier les témoignages de la faveur dont la France paraît bénéficier de la part du Ciel. Au début de notre Histoire, le chroniqueur Flodoard prête ces paroles à saint Rémi, à l’occasion du baptême de Clovis (496) : « Apprenez, mon fils, que le royaume de France est prédestiné par Dieu à la défense de l’Église romaine qui est la seule véritable Église du Christ ». Plus près de nous, c’est le Christ lui-même qui, s’adressant, dans les années 1870, à Mariam, une jeune religieuse d’origine palestinienne, lui confie : « Je ferai mes délices dans le cœur de la France, elle sera encore la reine de tous les royaumes ». À Marcel Van, prêtre viet-namien, Jésus dicte « la prière qu’(Il) veut que les Français (Lui) récitent » : « Seigneur Jésus, aie compassion de la France, daigne l’étreindre dans Ton Amour et lui montrer toute Ta tendresse. Fais que, remplie d’amour pour Toi, elle contribue à Te faire aimer de toutes les nations de la terre. Ô Amour de Jésus, nous prenons ici l’engagement de Te rester à jamais fidèles et de travailler d’un cœur ardent à répandre Ton Règne dans tout l’univers ». Sans oublier toutes les apparitions de la Vierge en terre de France – Le Laus, la rue du Bac, La Salette, Lourdes, Pontmain, Pellevoisin, L’Isle-Bouchard – souvent assorties de messages propres à notre pays, et celle du Christ lui-même à Paray-le-Monial.
« Lâchez nous avec les racines chrétiennes de la France ! » [2]. Il est aujourd’hui très mal vu d’aborder cette question de la catholicité particulière de la France, tant dans le monde « laïc » que parmi les catholiques eux-mêmes. Pourtant, dans un contexte où les débats sur l’intégration des personnes d’origine étrangère prennent une tournure paroxystique, nos frères convertis de l’islam font, à bas bruit – car on ne les entend pas, eux, ils ne se plaignent jamais et ne revendiquent rien ! – la preuve que cette intégration est d’autant plus parfaite qu’elle passe par l’adhésion discrète à la religion qui a fondé, pendant des siècles, l’âme de la France. Ils témoignent de l’actualité de cette phrase de Simone Weil, écrite en 1942 en pleine occupation allemande : « Il faut donner quelque chose à aimer, et ce quelque chose c’est la France » [3].
Jean-François Chemain
Jean-François Chemain est diplômé de Sciences Po Paris, agrégé et docteur en Histoire. Il a enseigné durant 10 années en ZEP, dans la région lyonnaise. Il est auteur de nombreux ouvrages sur la France, la laïcité et l’islam.
[1] Peyrous (Bernard). Connaître et aimer son pays – Une réflexion chrétienne sur les nations. L’Emmanuel, 2011, 368 pages.
[2] L’Obs, 17/11/16
[3] Weil (Simone). L’enracinement. Gallimard, 1949 rééd. Folio, 1990, p. 200.