Qui était Ismérie ?
Ismérie était une princesse musulmane, fille du sultan d’Égypte qui est devenue chrétienne au XIIe siècle par l’intercession de la Vierge Marie. Son histoire est à l’origine du grand sanctuaire de Notre Dame de Liesse, près de Laon.
Le patronage d’Ismérie témoigne en particulier du caractère spirituel et pacifique de la démarche de Mission Ismérie, de l’historicité du phénomène de la conversion des musulmans au Christ, et de la vocation particulière de la France dans l’accueil des chrétiens venus de l’islam et l’apostolat auprès des musulmans.

(vitrail de la cathédrale de Laon)
L’histoire d’Ismérie
Ismérie, très belle, savante en islam, avait été missionnée par son père, le sultan d’Égypte al-Hazan (ou al-Hafdhal, selon les versions), pour convertir trois chevaliers français de l’ordre des Hospitaliers de Saint Jean, faits prisonniers à la croisade et emmenés en captivité au Caire. Le sultan voulait faire d’eux des musulmans.
« Entre lesquels chevaliers furent trois frères (…) natifs du diocèse de Laon en Laonnois, dont le plus aîné était seigneur d’Eppes, le second de Marchais, et le troisième n’avait nulle seigneurie mais était très dévot et très vaillant chevalier. »
« Or, est-il ainsi que ces trois frères, dont nous faisons mention, furent menés vers le grand sultan d’Egypte et lui furent présentés »
« Mais les trois chevaliers furent très sages et répondirent à l’encontre tout le rebours de ce qu’il avait dit. (…). Ce pourquoi lui, ému de courage, fier et malicieux, les fit mettre en prison, en une tour, grosse et carrée, au fond d’une fosse, vile et sale et très sombre, les donnant en garde à un sarrazin sans pitié, en lui défendant de leur donner autre chose que du pain et de l’eau (…). »
« Alors, après qu’ils furent emprisonnés en telle horrible prison, le sultan commença à se demander comment il les pourrait amener à renier la foi en Jésus-Christ, et les faire croire en son dieu Mahomet (…). »
« Quand le Sultan vit qu’il ne pouvait rien contre eux, il fit appeler sa fille Ismérie, la plus belle pucelle de toute l’Égypte, très gracieuse et avenante, pleine de bonnes mœurs et vertus, à laquelle il dit qu’il fallait convertir les chevaliers à sa foi, par ses paroles et prières (…). »
Mais ce sont les chevaliers qui, en parlant à Ismérie de la Vierge Marie « qui donne au coeur une si grande liesse » ont déclenché sa propre conversion : elle leur demanda alors de lui sculpter une statue de la Vierge Marie, mais c’est cette dernière qui la fit apparaître miraculeusement.
« Alors l’aîné des chevaliers lui répondit : Ô demoiselle, il n’est rien d’impossible à notre Seigneur. (…) Notre Dieu a voulu partager notre humanité, il est venu sur terre pour nous montrer comment nous devions vivre. Une belle vierge nommée Marie l’a porté neuf mois en son ventre (…) »
« Je vous en prie, seigneurs, dites-moi qui est cette dame Marie. »
« Alors la pucelle leur demande s’ils en avaient une image. »
Dans la nuit apparaît dans la cellule des chevaliers une mystérieuse et miraculeuse statue de la Vierge Marie portant l’enfant Jésus (en bois noir, d’où le nom de « vierge noire » donné à la statue). Ils la montrent à Ismérie.
« Dorénavant cette image sera appelée Notre-Dame de Liesse, car elle nous donne et donnera toujours liesse et joie au cœur. »
« Et quand Ismérie vit la statue, elle fut soudain ravie d’amour de Notre-Dame. (…) Je veux servir cette Dame tant que je vivrai, et son fils aussi (…). Et vous promettrai de me faire baptiser et d’être bonne chrétienne. »
La nuit, la Vierge Marie la visite alors en songe. Elle lui inspire de délivrer les chevaliers et de devenir chrétienne. Ismérie fait donc évader les trois chevaliers, et, munis de la statue, ils regagnent tous ensemble le Laonnois natal des chevaliers.
Ismérie est baptisée sous le nom de Marie en 1134, à Laon, par son évêque. Elle épouse Robert d’Eppes, un des chevaliers, et vécut auprès de lui une vie de piété et de charité, puis se retira dans un couvent où elle donna l’exemple de toutes les vertus. Les autres chevaliers prirent femme et vécurent pieusement le reste de leurs jours. Ils auraient été enterrés dans l’abbaye de Saint-Vincent, à Laon.
Histoire d’Ismérie à partir de Bruno Maës, Notre Dame de Liesse, huit siècles de libération et de joie, Éd. O.E.I.L., 1991
Citations (entre guillemets) tirées d’un manuscrit du XVe s., plus ancienne copie de l’histoire de Notre-Dame de Liesse, étudié par le comte Jehan d’Hennezel d’Ormois in Notre-Dame de Liesse, sa légende d’après le plus ancien texte connu (1939)

D’Ismérie à Notre Dame de Liesse
On construit une chapelle pour abriter la statue miraculeuse, qui devint lieu de grande dévotion populaire à Notre-Dame de Liesse, de pèlerinage et de nombreux miracles. La localité, ex Lience, prit le nom de Liesse, qu’elle a toujours aujourd’hui. Notre-Dame de Liesse devient patronne de la dynastie capétienne , et donc patronne de la France. Une basilique fut construite, et les rois de France, jusque Charles X, allèrent tout particulièrement en pèlerinage auprès de Notre-Dame de Liesse, son sanctuaire se situant non loin de Reims, ville du sacre (dont Louis XIII et Anne d’Autriche, qui en obtinrent la naissance de Louis-Dieudonné, futur Louis XIV).
Aujourd’hui, à l’imitation d’Ismérie et des trois chevaliers, puisse Notre-Dame de Liesse apporter « toujours liesse et joie au cœur » aux convertis venus de l’islam et intercéder pour eux, que leur ancienne religion condamne théoriquement, du point de vue de la doctrine, à mort : « [Notre-Dame de Liesse] est secourable à ceux qu’on veut faire mourir à tort, quand ils la réclament de bon cœur, comme cela apparaît par les trois chevaliers. »

La part de la tradition, la part de l’histoire
La tradition
Selon la tradition attachée au sanctuaire de Notre Dame de Liesse, trois chevaliers picards, le seigneur de Marchais et les deux frères d’Eppes, se battaient en Terre Sainte avec Foulques d’Anjou dans la première moitié du XIIe siècle. Ils furent faits prisonniers des Sarrasins d’Ascalon près de Jérusalem et emmenés au Caire pour être présentés au Sultan d’Égypte, El-Afdhal. Ces chevaliers appartenaient à l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Ils furent enfermés durant deux années sans que les promesses et les menaces ne puissent venir à bout de leur foi. Ismérie, la fille du Sultan, devait les amener à la religion de Mahomet. Mais ce furent les chevaliers qui lui enseignèrent la Bonne Nouvelle du Christ. C’est ainsi qu’elle les entendit parler de la Sainte Vierge et qu’elle exprima le désir d’en voir une image. Un matin, les chevaliers trouvèrent près d’eux une petite statue de la Vierge Marie qu’un ange avait apportée dans la prison pendant la nuit. Visitant les prisonniers, Ismérie se fit remettre la statue miraculeuse. Touchée par la grâce, la princesse se convertit et décida de partir pour la France avec ses trois parrains tout en emportant la statue. Les chaînes tombèrent, les portes s’ouvrirent et ce fut la liberté… Après une longue marche, les fugitifs s’endormirent épuisés. A leur réveil, ils reconnaissent leur patrie et perçoivent alors le miracle. Grande est leur joie : la Sainte Vierge les a ramenés chez eux, à proximité de Marchais ! Ismérie veut alors prendre la statue miraculeuse mais celle-ci devient si lourde qu’elle doit la reposer. Les chevaliers essaient aussi de la soulever, en vain. Ils comprennent que la Sainte Vierge veut être vénérée à cet endroit, qui déjà s’appelle Liance. Ils font donc vœu d’y construire une église qui recevra le nom de « Notre Dame de Liesse » en souvenir de cette délivrance joyeuse.
La trace historique
Dans ce récit, il existe sans nul doute un élément historique. Au début du XIIIe siècle, peut-être avant, Robert d’Eppes avait épousé une Sarrasine. En 1236, un de ses fils, Jean, est en effet désigné sous le nom de « fils de la More » (Maure). Un autre seigneur de Marchais, Gervais, fut dénommé « le Sarrasin ». On peut donc avancer que le récit conserve à la fois le souvenir de la croisade des trois chevaliers(*), Jean, Hector et Henri, fils de Guillaume Ier, sire d’Eppes, celui du mariage insolite de l’un d’entre eux avec une femme orientale et celui de l’intervention miraculeuse de la Vierge Marie.
On sait par ailleurs que les chanoines de la cathédrale de Laon avaient élevé en 1115 une chapelle dans le village de Liesse (ou Liance), dans l’Aisne, à quelques kilomètres de Laon, sur une terre dépendant de la seigneurie de Marchais. Ils y utilisèrent des matériaux restants de la construction de leur cathédrale. L’édifice fut ensuite rebâti en 1384 et en 1480, puis enrichi par des dons de pèlerins de haute lignée.
Le pèlerinage
En ce lieu, une vierge en bois foncé devint ainsi l’objet d’un pèlerinage célèbre. C’est cet afflux des fidèles qui conduisit les chanoines de Laon à reconstruire la chapelle dès 1384. A partir du XVe siècle, les rois et reines de France s’y déplaceront aussi, car ils conservaient des liens réguliers avec le berceau de leurs origines monarchiques de Laon, Soissons et Reims.
Ainsi Charles VI se rend à Liesse en 1414. Louis XI la visitera en quatre occasions. En 1602, Marie de Médicis y vient remercier la Vierge pour la naissance du futur Louis XIII et offre au sanctuaire le retable noir et or, la colonnade de jaspe et l’arc triomphal qui encadrent le maître-autel. Louis XIII et Anne d’Autriche y imploreront un héritier à plusieurs reprises. En souvenir de leurs passages, ils offrirent un grand tableau les représentant à genoux devant la Nativité. Le roi consacrera d’ailleurs le royaume à Marie. En 1652, Louis XIV y vient remercier la Vierge pour les faveurs accordées à sa mère quant à sa providentielle naissance qui lui valut le nom de « Dieudonné ».
Par ailleurs, lors de grandes calamités, certaines villes formuleront des vœux à Notre Dame de Liesse. Ainsi Dieppe en 1630, qui offrira au sanctuaire un vaisseau d’argent gravé en lettres d’or : « Vœu public de Dieppe ».
Pendant la Révolution, la statue miraculeuse fut malheureusement brûlée et les exvotos confisqués, mais l’église fut pourtant épargnée et de pieuses mains parvinrent à dissimuler les cendres et charbons de la statue.
Le culte reprit au XIXe siècle et la dévotion mariale retrouva son développement dans le diocèse de l’Aisne. Une nouvelle statue fut couronnée solennellement en 1847 avec la bénédiction du Pape Pie IX. Sculptée en ébène, il semble qu’elle s’éloigne un peu du modèle original, qui était de style très simple. Elle contient dans son socle les cendres et charbons sauvegardés lors de l’autodafé révolutionnaire.

Durant la guerre de 1914-1918, Liesse fut occupée par les Allemands. Le site subit des dégradations mais la statue ne fut pas détruite. Après la victoire, Monseigneur Binet, évêque de Soissons, plaça son diocèse sous le patronage de la Vierge Marie. En 1921, il partit à pied de Soissons, entouré de 5000 anciens combattants et traversa le champ de bataille du Chemin des Dames pour arriver en pèlerinage à Liesse.
En 1934, le pèlerinage du huitième centenaire du sanctuaire de Liesse rassembla plus de cent mille personnes en présence du Légat du Pape.
L’Ordre de Malte considère aujourd’hui Notre Dame de Liesse comme l’un de ses sanctuaires majeurs en raison de la qualité d’hospitalier attribuée aux trois chevaliers croisés à l’origine de cette geste.
Épilogue
Les temps de la croisade sont révolus. Quels enseignements actuels tirer de cette histoire, maintenant que l’islam est implanté en Europe ? Quel lien entre cette situation nouvelle et la conversion d’une jeune musulmane rencontrant de pieux chevaliers du XIIe siècle ? Quel rapport établir entre ce récit médiéval et nos pèlerinages auprès de la statue miraculeuse ? L’ex-musulmane Ismérie accueillie en terre de France reçut le prénom de Marie et fut baptisée par Barthélemy de Jur, évêque de Laon. Puis elle vécut saintement près de son époux et près de sa mère à Marchais. Si miracle de Liesse il y a, il se joue aussi dans la joie d’une union prophétique gagnée sur l’adversité par la puissance de la foi. C’est cela que la Vierge Marie voulut signifier quand sa statue se fit si lourde au point d’indiquer le lieu où louange lui serait rendue en souvenir de cette heureuse issue.
Les prières et pèlerinages qui se poursuivent à Liesse auprès de Notre Dame, à l’instar de celles des prisonniers du Caire et de celles de nos rois nous montrent le chemin par lequel il faut aller. C’est celui que Mission Ismérie a choisi d’emprunter.
« Un grand signe parut dans le ciel : Une femme enveloppée du soleil, la lune sous ses pieds, une couronne de douze étoiles sur sa tête »
Saint Jean, Apocalypse 12
D’après Patrick Decléty, diacre
(*) Il s’agit ici de la IIe croisade (1147 – 1149) prêchée par Bernard de Clairvaux. L’armée germanique de Conrad III emprunte le couloir danubien suitée de l’armée « franque » de Louis VII partant de Paris en juin 1147 avec sans doute nos trois chevaliers. Les rivalités franco-germaniques et les difficultés relationnelles avec l’empereur byzantin Manuel Ier, fragilisèrent l’opération. Louis VII finit malgré tout par rejoindre Conrad à Jérusalem pour achever son pèlerinage mais tous deux se laissèrent entrainer dans une expédition contre Damas alors que déjà les trois quarts des 200 000 hommes partis d’Europe avaient disparu… Les Atabeks de Mossoul reprenant le djihad et contrôlant la Syrie pendant que les chefs des États latins s’alliaient avec l’empire byzantin, les Vizirs fatimides se maintinrent en faisant appel aux Francs ou aux Syriens. Finalement Saladin (un chef d’origine kurde) devint Vizir et réalisa l’union de la Syrie et de l’Égypte, imposant par là le sunnisme (1169).
Saladin s’attaqua d’abord aux positions franques et isola les Latins en s’alliant avec les Seldjoukides en 1179 puis avec les Byzantins et Chypre en 1180 alors que l’Empire byzantin menacé en Europe par les Hongrois, les Serbes et les Normands de Sicile, lâcha ses anciens alliés. Il signa ensuite une trêve avec les Latins en 1180 pendant qu’il contrôlait Alep et Mossoul.
Pendant ce temps, des dissensions minaient le royaume de Jérusalem de l’intérieur. Le roi Baudouin IV, lépreux, vit sa succession disputée sans secours extérieur. Sibylle sa sœur et son mari Guy de Lusignan furent bientôt couronnés. Écarté, Raymond III comte de Tripoli, se tourna vers Saladin qui dans un premier temps, refusa son aide. Mais Renaud de Châtillon pilla une caravane arabe en 1187. Alors Saladin proclama la guerre sainte. Lors de la bataille de Hattin, les chevaliers francs furent presque tous capturés. Renaud de Châtillon et 200 Templiers et Hospitaliers furent exterminés, les sergents et soldats massacrés ou vendus comme esclaves. Saladin prit les places fortes et autorisa contre rançon le retour d’une partie des rescapés vers l’Europe. Le 2 octobre 1187 à Jérusalem, Balian d’Ibelin obtint une capitulation permettant le rachat d’un tiers de la population ; mais 10 000 habitants furont déportés comme esclaves. Le royaume de Jérusalem fut réduit à Tyr et Beaufort, et, au Nord, ne restèrent que Tripoli, le Krak des Chevaliers, Antioche et Marguat. Ce fut le triomphe de Saladin.
C’est dans ce contexte critique que nos trois chevaliers ont sans doute bénéficié d’une grâce et que leur retour a pu être possible à partir de leur prison du Caire. L’attitude d’Ismérie, fille du Sultan, démontre que les relations entre autochtones et croisés permettaient des échanges voire des unions. L’évasion peut donc être attribuée soit à une négociation engagée par Ismérie elle-même, soit à une intervention de la Vierge Marie qu’il ne faut pas exclure compte-tenu des fortes tensions. Le miracle, c’est alors, aussi, le mariage-même de cette princesse avec un chevalier latin.
Quant aux conditions du « retour direct » près de Marchais, elles peuvent, elles aussi, relever du miracle ou bien d’une volonté de ne pas s’étendre sur la désastreuse issue de cette aventure que Saint Bernard avait suscitée dans la région lors de ses interventions. Il avait en effet contribué à la création de l’abbaye de Vauclerc en 1134 (Vauclair, anagramme de Clairvaux) à la demande de Barthélémy de Jur, l’évêque de Laon, auquel il était apparenté. À la fin de sa vie, dans une de ses œuvres majeures (De la Considération,1152), Saint Bernard parla bien de l’échec de la deuxième croisade. Il écrivit : « Je préfère voir les murmures des hommes s’élever contre moi que contre Dieu« .
La conclusion de la croisade restant sûrement un sujet douloureux, les familles et les mémoires locales ne pouvaient pas lui donner un ton triomphant mais plutôt devait-on y préférer un message relevant de la force évangélique de l’amour.
Aider Mission Ismérie
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