L’islam, religion d’amour et de paix ?
« L’islam », entend-on souvent dire, « est une religion d’amour, de paix et de tolérance », et on est même tenu de le répéter, sinon de le penser, pour ne pas encourir l’accusation d’islamophobie. Ce discours est très prégnant dans l’Église catholique, notamment dans les cercles qui se consacrent au « dialogue inter-religieux », où il a valeur de dogme. Cela est bien compréhensible : il est impossible d’échanger fraternellement avec des gens sans porter sur eux un regard de charité. Islam, se plaît-on à asséner, aurait la même origine que salam, « la paix ». Peut-on dès lors le soupçonner de porter en lui quelque violence ?
L’amour, toutefois, ne doit pas aller sans la vérité, tant il est vrai pour nous, chrétiens, qu’ « amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent » (Ps. 84). Le légitime souci de charité ne doit pas aller contre la non moins légitime exigence de vérité.
Alors la première concession que l’on doit faire à la vérité est de reconnaître qu’islam n’a rien à voir avec salam, mais signifie bien plutôt « soumission », à Dieu et à sa loi. Ce n’est pas du tout la même chose.
Le dieu de l’islam s’est exprimé, une fois pour toute, dans le Coran, d’où son surnom de « religion du Livre ». On ne saurait donc se faire une idée du caractère intrinsèquement pacifique de cette religion sans revenir à son fondement coranique. Et là on est perplexe. Le Coran est en effet divisé en 114 sourates, elles-mêmes composées de 6220 à 6236 versets (selon les comptes et les versions), dont la lecture donne de notre question une image contrastée.

Quelques versets appellent à avoir des relations amicales avec les chrétiens (appelés « associateurs », car ils associeraient un fils à Dieu) :
« Tu trouveras certainement que les Juifs et les associateurs (les chrétiens) sont les ennemis les plus acharnés des croyants. Et tu trouveras certes que les plus disposés à aimer les croyants sont ceux qui disent : « Nous sommes chrétiens. » C’est qu’il y a parmi eux des prêtres et des moines, et qu’ils ne s’enflent pas d’orgueil ».
(V,82)
Mais beaucoup (plus) d’autres sont marqués par une certaine agressivité (euphémisme) envers les chrétiens (environ un quart selon mon estimation personnelle). Les motifs de celle-ci sont de deux ordres. Le premier est théologique : Dieu serait furieux que les chrétiens lui aient associé un fils, et demanderait aux musulmans de les en punir, d’être pour eux, sur terre, un avant-goût de l’enfer qui les attend dans l’au-delà, sous peine d’aller en enfer à leur place. Le second est historique : les chrétiens auraient, les premiers, agressé les musulmans, qui sont donc, aujourd’hui comme hier, et pour toujours, en situation de légitime défense.
Le florilège des versets vindicatifs est impressionnant, et nous n’en donnerons que quelques exemples :
« Lorsque les mois sacrés seront écoulés, combattez contre ceux qui associent (à Dieu) où que vous les trouviez, pressez-les, tendez-leur des embuscades, mais s’ils renoncent, font acte d’engagement et versent la contribution de solidarité, Allah pardonne, il fait miséricorde ».
(IX,5)
« Combattez-les ! Dieu les châtiera par vos mains, il les couvrira d’opprobres, il vous donnera la victoire ».
(IX,14)
« Combattez : ceux qui ne croient pas en Dieu et au Jour dernier, ceux qui ne déclarent pas illicite ce que Dieu et son Prophète ont déclaré illicite, ceux qui, parmi les gens du Livre, ne pratiquent pas la vraie religion, combattez-les jusqu’à ce qu’ils payent directement tribut après s’être humiliés ».
(IX,29)
« Combattez les polythéistes totalement, comme ils vous combattent totalement ».
(IX,36)
« Si vous ne vous lancez pas au combat, Dieu vous châtiera d’un châtiment douloureux ».
(IX,39)
« Légers ou lourds, élancez-vous au combat, luttez avec vos biens et vos personnes ».
(IX,41)
« Ceux qui croient en Dieu et au Jour dernier ne te demandent pas de dispense quand il s’agit de combattre avec leurs biens et leurs personnes ».
(IX, 44)
« Combats les hypocrites et les infidèles, sois dur avec eux ! ».
(IX,73)
« Ne prie jamais pour l’un d’eux quand il est mort, ne t’arrête pas devant sa tombe ».
(IX,84)
« Les croyants combattent dans le chemin de Dieu : ils tuent et ils sont tués ».
(IX,111)
« Combattez les infidèles qui sont près de vous. Qu’ils vous trouvent durs ».
(IX,123)
Comme il faut bien renvoyer toutes les religions dos-à-dos, on aime à évoquer certains textes belliqueux de l’Ancien Testament. L’honnêteté devrait cependant conduire à reconnaître qu’ils sont proportionnellement beaucoup moins nombreux que dans le Coran, et qu’on n’en trouve pas dans le Nouveau Testament.
Or que faire en cas d’injonction contradictoire du Coran ? La règle imaginée par les juristes musulmans du IXe siècle est celle qu’on appelle « abrogeant-abrogé » : un verset plus récent abroge un verset plus ancien. On considère en effet qu’Allah, dans sa pédagogie, aurait voulu révéler progressivement aux fidèles les choses les plus difficiles, pour leur permettre de s’y habituer. La sourate IX, la plus belliqueuse, est aussi la dernière qui aurait été révélée : elle abroge donc les autres. Or elle est un lancinant appel à tuer les chrétiens (une cinquantaine de versets hostiles sur 120 versets).
Faut-il prendre ces versets au pied de la lettre ? Il y a eu débat sur la question (querelle Mutazilite, au IXe siècle) : le Calife de l’époque (Al Mutawakil) a tranché en faveur de la lettre : l’Homme n’a pas à opposer sa conscience à Dieu, sinon il se fait Dieu à la place de Dieu. Le devoir de tuer les chrétiens est donc impératif, littéral, le fait que la plupart des musulmans ne passent pas à l’acte est seulement la conséquence du fait qu’ils n’appliquent pas bien ce que leur demande le Coran.
On note que le Coran justifie la violence à appliquer aux chrétiens par la légitime défense : ce sont les chrétiens qui ont commencé, ils n’aiment pas les musulmans, leur veulent du mal :
« Vous les aimez, et ils ne vous aiment pas et vous croyez dans le Livre tout entier ».
(III,119)
Beaucoup de musulmans ont tendance à se sentir intrinsèquement victimes des chrétiens. On notera que dès qu’une violence est faite au nom de l’islam, la première réaction des autorités musulmanes est de se poser en victimes du regard qu’on va poser sur leur « communauté », et donc de justifier ex-post cette violence par l’hostilité des chrétiens.
Ceci constaté, le chrétien se trouve face à deux écueils. Le premier est le déni, au nom de l’amour. Je me souviens de ce père de famille catholique dont le fils avait épousé une musulmane, et dont les petits-enfants étaient donc musulmans, m’expliquant qu’il avait lu le Coran et n’y avait trouvé aucune trace de violence. Et de cette paroissienne réfutant mes explications par le fait que j’avais lu le Coran en français, pas en arabe… Que dire ? Le second écueil est l’énonciation abrupte de la vérité. Elle est si dure qu’il est difficile de le faire sans blesser, et dès lors elle ne saurait trouver une oreille attentive. La grande majorité des musulmans est pacifique, malgré sans doute une tendance fréquente à se poser en victimes. Elle n’a pas forcément lu le Coran, ou bien a pris des distances par rapport à sa lettre. Elle n’a pas conscience de cette violence, et peut prendre son évocation comme une incompréhensible agression… justifiant une colère, et donc une agressivité en retour. Tel est le discours sur « l’islamophobie ». C’est le loup de la fable qui mange l’agneau parce que celui-ci, ou son frère, a dit que le loup était méchant.
Beaucoup de musulmans abjurent toutefois aujourd’hui l’islam parce qu’ils sont lassés de cette violence dont ils ont d’eux-mêmes pris conscience. Certains se convertissent au christianisme. Peut-être faut-il laisser l’Esprit agir dans les cœurs et les intelligences, sans venir perturber son travail par notre vérité trop brutalement assénée. Cela ne nous dispense pas de la chercher, et de refuser le mensonge.
Jean-François Chemain
Jean-François Chemain est diplômé de Sciences Po Paris, agrégé et docteur en Histoire. Il a enseigné durant 10 années en ZEP, dans la région lyonnaise. Il est auteur de nombreux ouvrages sur la France, la laïcité et l’islam.