«Le butin appartient à Dieu et à son prophète»

[buste devant l’entrée de Casbah de Bejaia, en Algérie – CC Creative Commons]
La journaliste franco-tunisienne Fawzia Zouari raconte dans Jeune Afrique [1] une anecdote d’un paradoxe apparent, mais qui ne paraît pas toucher l’esprit de nombre de musulmans fuyant les désordres inhérents à leur pays d‘origine.
J’étais de passage à Bruxelles. Je n’aime pas beaucoup Bruxelles […]. Cependant, j’adore les Belges ! Je trouve que c’est le peuple le plus doux et le plus innocent de la terre. Et c’est sans doute pour cette raison que je me suis fâchée avec le chauffeur de taxi qui m’emmenait au lieu de conférence où je devais me rendre. [Il] est tunisien, comme moi. La trentaine, il est arrivé depuis dix ans à Bruxelles. Dès qu’il a su d’où je venais, il a fait l’Arabe, a abandonné la langue de Molière pour ne parler que celle du Coran, avec les expressions, les jurons, les wallah et les inchallah à tout bout de phrase. J’avais l’impression de me retrouver au cœur de la médina de Tunis. Je l’ai branché sur Bruxelles. Il a dit :
« J’y suis très bien, al hamdoullah ! J’ai un travail, une femme et des enfants. En plus, il y a plein de Maghrébins », m’a-t-il répondu.
– Tant que ça ?
– Ah ! Oui, ma sœur, nous allons devenir majoritaires ! J’ai quatre enfants, mon voisin marocain en a six. Si Dieu le veut, la Belgique finira arabe et musulmane.
– Et ça te plairait ?
– Ben oui. Nous sommes appelés à peupler la terre entière.
J’ai regardé le jeune homme. Il n’avait ni barbe, ni trace sur le front attestant de la pratique de la prière. Et j’ai compris le mal. Insidieusement, l’islamisation des esprits a gagné le nord comme le sud. De jeunes immigrés trimballent une mentalité de « daeshistes » sans le savoir.
« Pourquoi as-tu quitté la Tunisie ? », l’ai-je interrogé.
– Pour être tranquille. Travailler avec des gens sérieux, pas corrompus, et des administrations qui marchent.
Jugeant inutile de le raisonner, je me suis contenté de le taquiner […] : « Tu imagines le jour où la Belgique sera gérée par des Arabes ? Tu crois que tu vas continuer à jouir de ces privilèges ? » Il a calé. J’ai ajouté : « Et puis, ils iront où, les Belges ? » Soudain, il m’a semblé triste et désorienté.
La journaliste conclut son article en reconnaissant « ne pas comprendre ce qui se passe dans la tête de ces jeunes immigrés ».
Cet échange fait penser à l’information, en apparence stupéfiante, selon laquelle de nombreux chefs talibans afghans songent à quitter, pour l’Europe, leur pays en proie à un chaos économique auquel ils ont grandement contribué. « Ils ont combattu l’Occident et souhaitent maintenant s’y installer. De nombreux combattants talibans seraient en route pour le continent européen afin de fuir la crise économique que subit l’Afghanistan depuis la prise de pouvoir des fondamentalistes en août 2021. « Je suis fatigué de la guerre. J’ai tué beaucoup de gens. Sans regret, mais, aujourd’hui, je veux passer à autre chose », explique Hamad, un ancien membre des forces spéciales talibanes. Après sept années passées au sein de forces armées connues pour leur brutalité et leur fanatisme, le vétéran de guerre juge qu’il a droit à un peu de « tranquillité » et de « liberté ». Ce désir de renouveau n’est pas le fruit d’une quête de rédemption, loin de là. L’ancien combattant reste fidèle aux idéaux défendus par l’émirat. « Le système que l’on a amené est bon, j’y crois. Là n’est pas le problème » » [2].
Du petit chauffeur de taxi au djihadiste, le « raisonnement » est le même : il faut fuir des pays musulmans ruinés… par les musulmans eux-mêmes, pour venir profiter d’un « Occident chrétien » prospère, sans rien abdiquer de la prétention d’islamiser celui-ci. Et donc à terme de le ruiner.
Notons au passage que si certains pays musulmans sont si riches, ce n’est pas grâce à leur génie propre, mais à la présence dans leur sous-sol d’hydrocarbures que l’Occident veut bien, en ayant fait le pilier de sa révolution industrielle, leur acheter à prix d’or.
Déjà, Ibn Khaldoun
Comment ne pas penser au constat qu’Ibn Khaldoun, le grand historien arabe, faisait XIVe siècle dans ses Prolégomènes, qui comportent un chapitre au titre éloquent : « Tout pays conquis par les Arabes est bientôt ruiné ». Il commence par rappeler « l’anecdote du Calife Omar » :
(…) aussitôt qu’il fut proclamé chef des musulmans, il se leva pour […] pousser les vrais croyants à entreprendre la conquête de l’Irac. » Le Hidjaz n’est pas un lieu d’habitation […]. Allons […] pourquoi restez-vous si loin de ce que Dieu vous a promis ? Parcourez donc la terre ; Dieu a déclaré, dans son livre, qu’elle serait votre héritage. Il a dit : « Je le ferai afin d’élever votre religion au-dessus de toutes les autres, et cela malgré les infidèles » [3].
Et Ibn Khaldoun de poursuivre le raisonnement.
Le naturel farouche des Arabes en a fait une race de pillards et de brigands. Toutes les fois qu’ils peuvent enlever un butin sans courir un danger ou soutenir une lutte, ils n’hésitent pas à s’en emparer. […] Si, par la conquête d’une province ils se sont mis en état d’assouvir leur rapacité, ils méprisent tous les règlements qui servent à protéger les propriétés et les richesses des habitants. Sous leur domination la ruine envahit tout. […] L’ordre établi se dérange et la civilisation recule. [Les Arabes] s’occupent à pressurer les races conquises et à les tyranniser. Cela suffit pour ruiner la civilisation. […] De nos jours, la Syrie est ruinée, l’Afrique et le Maghreb souffrent encore des dévastations commises par les Arabes. […] Pendant trois siècles et demi, ils ont continué à s’acharner sur ces pays : aussi la dévastation et la solitude y règnent encore.
L’historien parle des Arabes, pas des musulmans, et l’on ne saurait certes confondre les deux. Et ce d’autant moins que, si les Arabes païens préislamiques avaient pu être maudits par les chroniqueurs de l’Antiquité pour leurs razzias coutumières, ces derniers avaient noté que leur christianisation avait mis fin aux violences et aux pillages. Il n’empêche que le pillage des terres « infidèles » est au cœur du message coranique, remettant ainsi à l’honneur les moeurs païennes préchrétiennes des Arabes (« l’islam est la sacralisation de la razzia bédouine » avait écrit l’islamologue britannique Bernard Lewis). Le Coran consacre en effet certains passages au « butin », jusqu’à donner ce titre à sa huitième sourate. Celle-ci affirme que « le butin appartient à Dieu et à son prophète » (VIII, 1 [4]). Elle n’a pas dans l’Histoire fait l’objet d’une interprétation particulièrement métaphorique, puisque les plus riches cités chrétiennes se sont tour à tour vues conquises et pillées par l’islam : Alexandrie, Antioche, Carthage, Constantinople… Mehmet II s’était, après la prise de cette dernière fixé Rome comme prochain objectif, mais ses successeurs firent par deux fois un détour par Vienne (1529 et 1683).
Il n’y a donc rien d’étrange, ni de radical, dans l’attitude de tous ces musulmans qui rêvent de quitter des pays ruinés pour venir tenter leur chance en Occident… Ils feront ainsi d’une pierre deux coups : à court terme, jouir quelques temps d’une prospérité que l’Occident doit à sa civilisation chrétienne, et à plus long terme le dominer et l’islamiser quitte à devoir, l’ayant ruiné, jeter leur dévolu sur d’autres contrées.
Jean-François Chemain
Jean-François Chemain est diplômé de Sciences Po Paris, agrégé et docteur en Histoire. Il a enseigné durant 10 années en ZEP, dans la région lyonnaise. Il est auteur de nombreux ouvrages sur la France, la laïcité et l’islam.
[1] N°3022, du 9 au 15 décembre 2018.
[2] Valeursactuelles.com, 22 décembre 2022.
[3] Coran IX, 33.
[4] voir aussi Coran VIII,41 : « Et sachez que, de tout butin que vous avez ramassé, le cinquième appartient à Allah, au Prophète, à ses proches parents, aux orphelins, aux pauvres, et aux voyageurs (…) »