Mahomet, prophète de l’islam ou prophète d’apocalypse ?
Connaitre l’islam avec Mission Ismérie, par Odon Lafontaine

Mahomet, prophète de l’islam ou prophète d’apocalypse ?
A la suite de nos publications mettant en avant le rôle central de Jésus dans l’islam, particulièrement pour son rôle à la fin des temps pour le jugement de l’humanité, et le travail d’investigation sur La Mecque montrant que c’était Jérusalem qui, au VIIe siècle, selon le texte coranique lui-même, constituait le point focal des premiers musulmans ou proto-musulmans, que peut-on penser alors de Mahomet ? Quel fut son rôle dans les événements qui ont donné naissance à l’islam ?
L’islam le considère bien évidemment comme le dernier de ses prophètes, le « sceau de la prophétie » (islamique), révélant la parole divine incréée (le Coran). Il est le fondateur de l’islam puisque instituant le premier État Islamique à Médine, selon la tradition, et puisque considéré comme le « beau modèle » sur la vie duquel a été développée la charia. Or, historiquement, à bien y regarder, on ne sait que très peu sur lui de source sûre : les textes de tradition musulmane qui le décrivent ainsi sont très tardifs, écrits jusqu’à plusieurs siècles après lui dans le contexte très différent du califat abbasside [1]. Il existe cependant des sources non-musulmanes, très peu connues, que les chercheurs découvrent et étudient de plus en plus ces dernières années. Elles brossent un portrait de Mahomet souvent incompatible avec ce que la tradition dit de lui.
Il est ainsi décrit de l’extérieur comme marchand et chef de guerre, exhortant certains Arabes à la conquête de la terre sainte (et non de La Mecque), terre sainte qui leur reviendrait de plein droit en vertu de la filiation abrahamique que Mahomet leur enseignait [2]. On le décrit aussi comme candidat potentiel à la prophétie juive – c’est-à-dire le prophète précurseur du Messie qu’attendent toujours les Juifs (l’équivalent de Jean le Baptiste pour les chrétiens), celui qui annonce sa venue imminente [3]. Affirmation étonnante, mais pas tant que cela au regard de certaines traditions musulmanes qui font dire à Mahomet « Par celui qui tient mon âme entre ses mains, le retour du Messie Jésus fils de Marie est imminent » [4]. Et l’on retrouve Mahomet dans certaines sources menant des raids en Palestine dans les années 630 [5] alors que la tradition musulmane le décrit comme tournant tous ses efforts vers la prise de La Mecque, 1200 km plus au sud.
Dans le contexte général de tension apocalyptique du Proche-Orient du VIIe siècle, si l’on analyse de manière critique ces témoignages et qu’on les croise, entre autres, avec l’analyse du texte coranique, son annonce de l’imminence de la fin des temps et du « Jour du Jugement », le rôle qu’y tient Jérusalem et qu’elle tient toujours dans la tradition musulmane comme lieu du jugement des Nations, on en vient facilement à penser que le « Mahomet de l’Histoire » aurait voulu et tenté de conquérir Jérusalem dans une sorte de projet grandiose de déclenchement de la fin des temps impliquant la redescente de Jésus. Sans doute le relèvement du Temple de Jérusalem que nous évoquions précédemment.
Mahomet aurait donc d’abord été un prophète d’apocalypse. Comment est-il alors devenu celui de l’islam ? Cela aurait-il à voir avec l’échec de son projet apocalyptique ? La réponse dans les prochains numéros…

(miniature persane)
[1] Patricia Crone, « What do we actually know about Mohammed? », openDemocracy, 2008
[2] Chronique du pseudo-Sébéos (voir Robert Hoyland, Seeing Islam as Others saw it, Darwin press, 1997, et Stephen J. Shoemaker, A Prophet has appeared, University of California Press, 2021)
[3] Doctrina Jacobi (cf. Hoyland et Shoemaker, op.cit.)
[4] Sahih al-Bukhari 3448
[5] Chronique de Michel le Syrien et Doctrina Jacobi (cf. Hoyland et Shoemaker, op.cit.)