L’islam est-il né à La Mecque ?
Connaitre l’islam avec Mission Ismérie, par Odon Lafontaine

L’islam est-il né à La Mecque ?
Selon la tradition musulmane, La Mecque est bien entendu la ville des origines de l’islam : « lieu d’Abraham » où ce dernier a tenté de sacrifier son fils Ismaël [1] et où il (re)construisit le sanctuaire islamique primordial (la Kaaba), et lieu de naissance du prophète de l’islam ainsi que de ses premières prédications. Il s’en est enfui en 620 (l’Hégire) pour installer le premier État islamique à Médine en 622, date retenue pour le début du calendrier musulman, et donc date de la fondation réelle de l’islam. Il prit la ville en 630 pour l’islamiser et islamiser la Kaaba, en en faisant ainsi le lieu saint de l’islam.
L’historicité de La Mecque et de la tradition qui s’y rapporte est cependant très loin d’être établie : elle était déjà contestée au VIIIe siècle par Saint Jean de Damas, qui pointait qu’on ne pouvait trouver dans ce lieu désertique le bois nécessaire au sacrifice du fils d’Abraham. Elle le fut aussi par les musulmans eux-mêmes, dont les savants ont longtemps débattu de « l’innovation » que représentait le culte rendu à La Mecque. Les Qarmates (un courant chiite opposé au califat abbasside) en ont même saccagé la ville au Xe siècle, détruisant la Kaaba.
Les travaux de la recherche historico-critique sont dans un sens allés encore plus loin depuis une cinquantaine d’années, relevant des incohérences et contradictions majeures dans le récit traditionnel musulman. Il la décrit en effet comme propice à une agriculture diversifiée – oliviers, vigne, blé, grenades, dattes, élevages de chèvres, moutons, vaches et chameaux – alors que son climat désertique la rend absolument impossible [2]. Le prophète est dit y précher à des pêcheurs mangeant le fruit frais d’une pêche faite à la fois en mer et en eau douce. Or la mer se situe à 80 kilomètres de la ville, et on ne trouve aucun lac d’eau douce aux environs. Il faut aller en Syrie ou en Galilée pour retrouver une telle configuration [3]. La Mecque se situe par ailleurs à l’écart (3 jours de marche) et en contrebas (1600 mètres de dénivelé) de la route caravanière traditionnelle que devaient rejoindre les marchands mecquois de la tradition (dont Mahomet) pour se livrer au commerce qui faisait vivre la ville. Mais l’on sait par ailleurs que cette route traditionnelle était alors désaffectée, car le commerce du VIIe siècle se faisait par la Mer Rouge, les bateaux cabotant alors sur la côte africaine et non la côte arabe [4]. Que dire par ailleurs de l’absence complète de traces antiques de cette ville ?
Voilà de quoi semer un doute très sérieux sur l’historicité de La Mecque décrite par la tradition musulmane. D’autres découvertes abondent en ce sens. La suite au prochain épisode…

[1] Episode de la « ligature », similaire à celui décrit par la Bible (Gn 22), où le fils objet du scarifice est cependant Isaac et non Ismaël
[2] Patricia Crone, « How did the Quranic Pagans make a living?», Bulletin of the SOAS, Vol. 68, No. 3, 2005
[3] Odon Lafontaine, « La barrière entre les deux mers », Academia, 2020
[4] Patricia Crone, Meccan Trade and the Rise of Islam, Gorgias Press, 1987