Le Coran mentionne-t-il La Mecque ?
Connaitre l’islam avec Mission Ismérie, par Odon Lafontaine

Le Coran mentionne-t-il La Mecque ?
Nous avions vu précédemment qu’existent des doutes très sérieux quant à l’historicité de La Mecque décrite par la tradition musulmane comme lieu des origines de l’islam, de la naissance et de la prédication de son prophète, notamment au regard des contradictions entre la situation réelle de la ville de La Mecque et ses descriptions selon les écrits de l’islam.
Les chercheurs se sont par ailleurs interrogés sur les traces que cette ville et son activité caravanière auraient du laisser dans l’histoire pré-islamique, en particulier dans les divers écrits des auteurs de l’Antiquité. N’ayant rien trouvé de concluant [1], il faut se rendre alors à l’évidence que ce sont les écrits de l’islam, au premier chef le Coran, qui constitueraient donc les premières preuves de l’historicité de La Mecque.
Or, le texte coranique littéral est très ambigu à ce sujet : il n’y existe qu’une seule occurrence du mot « Mecque » (S48,24) – c’est-à-dire, dans le jargon des spécialistes, un hapax legomenon auquel on peut donc facilement donner un sens arbitraire. La tradition musulmane explique par ailleurs que La Mecque y serait désignée par différentes expressions :
- « mosquée sacrée » (étymologiquement : « lieu de prosternation interdit ») ;
- « maison » (au sens de « Temple », comme c’est l’usage dans les langues sémitiques) ;
- « Kaaba » (peut-être « cube », ou plutôt « sanctuaire », comme on peut le déduire de l’existence d’autres « Kaabas » dans le Moyen-Orient antique) ;
- « Lieu d’Abraham », où aurait eu lieu l’épisode du sacrifice de son fils (Ismaël selon la tradition musulmane, et non Isaac comme mentionné dans la Bible en Gn22) ;
- Lieu du « pèlerinage » traditionnel des Arabes païens du Hedjaz (le « hajj » et « l’omra ») ;
- Lieu des collines Marwa et Safa.
L’appellation de « lieu d’Abraham » attire particulièrement l’attention : au VIIe siècle, dans le Moyen-Orient christianisé et judaïsé d’alors (y compris les Arabes), un auditeur moyen de la prédication coranique l’identifierait naturellement à Jérusalem. Et plus encore au Mont Moriyah, qui se transcrit « Marwa » en arabe – sachant de plus qu’existe aussi à Jérusalem un mont « Safa » (le mont Scopus, ou Sapha en hébreu [2]). De plus, les mentions à un « lieu de prosternation interdit » comme à un « Temple » pourraient tout à fait renvoyer aussi à Jérusalem, au lieu de son Temple construit sur le Mont Moriyah (ou Mont du Temple), détruit en l’an 70 et dont une tentative de relèvement eut lieu en 614, lors de la guerre entre Perse et Byzance. Et ce alors même que les mots de « hajj » et « omra » ont été identifiés par les linguistes comme des emprunts au vocabulaire juif, désignant l’un une forme de pèlerinage juif au Mont du Temple (« hagg »), et l’autre des modalités de service rituel à ce Temple [3].
On est dès lors en droit de se demander si le texte coranique ne désignerait pas originellement Jérusalem et non La Mecque. C’est ce que soutiennent certains chercheurs, mettant de plus en avant les sources anciennes expliquant que le Temple de Jérusalem a été effectivement reconstruit vers 638-640 [4] par des conquérants arabes fortement influencés par certaines croyances apocalyptiques plus ou moins judéochrétiennes.
Il s’agirait alors de l’invalidation des seules preuves scripturaires justifiant l’historicité de La Mecque décrite par la tradition musulmane, confirmant en cela les doutes déjà émis à son sujet. Les conséquences d’une telle découverte débordent de beaucoup le sujet de l’historicité de La Mecque : c’est celle de la tradition musulmane, et donc de l’islam tout entier, qui se trouve alors mise en cause.

[1] Patricia Crone, Meccan Trade and the Rise of Islam, Gorgias Press, 1987
[2] Flavius Josèphe, Antiquités Juives (11,329)
[3] Régis Blachère, Le Coran, Maisonneuve & Larose, 1966, p.557 ; Robert Kerr, « Aramaisms in the Qur’ān and Their Significance » in CHRISTMAS IN THE KORAN, Luxenberg, Syriac, and the Near Eastern and Judeo-Christian Background of Islam, édité par Ibn Warraq, Prometheus, 2014
[4] Patricia Crone & Michael Cook, Hagarism: the Making of the Islamic World, Cambridge University Press, 1977 ; Alfred-Louis de Prémare, Les fondations de l’islam, Seuil, 2002 ; Édouard-Marie Gallez, Le messie et son prophète, Éd. de Paris, 2005-2010 ; Robert Hoyland, Dans la voie de Dieu, Alma, 2018