La Tradition
Islam et christianisme : fausses ressemblances, vraies différences – par Henri de Saint-Bon
La Tradition
Islam et christianisme s’appuient fortement sur leurs traditions pour la compréhension et la transmission de leurs fois et de leurs doctrines. Le mot de « tradition » vient du latin « tradere », qui signifie « transmettre ». Il a toujours ce sens. Que s’agit-il cependant de transmettre ? Quels sont les rôles particuliers de la « Tradition » en islam et dans le christianisme ? S’agit-il du même type de « Tradition » ? En quoi diffèrent-elles ?
Et comme toujours pour les articles de cette série « Islam et christianisme : fausses ressemblances, vraies différences », vous trouverez en fin d’article un tableau de synthèse récapitulant les fausses ressemblances et les vraies différences.
La Tradition dans le christianisme

Il s’agit de faire connaître au prochain et aux générations futures la bonne nouvelle du salut : Dieu s’est fait homme et est mort sur la croix pour sauver l’homme du péché et de la mort, pour le faire accéder à une vie nouvelle (c’est le sens en araméen du mot que nous traduisons par « salut », et qui signifie premièrement « vie »). Cette bonne nouvelle concerne tous les hommes, en toutes ses dimensions, en tout temps, en tous lieux.
La Tradition tient son origine de Dieu le Père lui-même. Dieu le Père a tout remis à son Fils le Christ : l’autorité, la gloire, la sagesse, la puissance (Jn 3,35) et le Fils a transmis aux douze Apôtres ce que le Père lui avait demandé de transmettre. C’est le commencement de la Tradition.
Puis le Christ a ordonné aux Apôtres de transmettre intégralement cette bonne nouvelle et, à leur tour, ceux-ci ont transmis la plénitude de la foi. « Moi, Paul, je vous ai transmis ce que j’ai reçu de la tradition venant du Seigneur … » (1 Co 11,23). Il s’agit de transmettre une personne vivante qui est le Christ, de transmettre un Amour.
Ainsi, la Tradition est la transmission non d’un commandement ni d’un livre, mais bien d’un amour.
D’une manière plus précise, il s’agit de transmettre d’une part ce que le Christ a dit et a fait sur terre et d’autre part ce qui a été inspiré par le Saint-Esprit et qui est consigné par écrit.
Car l’annonce de cette bonne nouvelle, qui a été d’abord orale, a ensuite été écrite. Les Écritures saintes sont le support de ce transfert de connaissance de l’Amour. D’autres textes provenant de la Tradition ont aussi pu être mis par écrit, comme le Symbole des Apôtres.
Depuis 2000 ans et jusqu’à la fin des temps, la vocation de l’Église reste et restera de transmettre le Christ. C’est pourquoi, pratiquement, la Tradition se compose d’un ensemble de textes, rites et symboles reçus de l’enseignement de l’Église depuis son origine, et permettant à celle-ci de perpétuer le dépôt de la foi qui lui est confié.
Ce dépôt de la foi est transmis d’une génération à l’autre depuis la Pentecôte. Il le sera à l’identique dans les siècles à venir. Les communautés chrétiennes de chaque génération reçoivent la trace de toutes les explicitations et interprétations de la parole de Dieu élaborées par celles des générations précédentes. Elles se doivent d’être elles-mêmes créatrices d’expressions et d’interprétations neuves, actualisées en fonction du progrès des sciences et des découvertes, tout en étant fidèles au témoignage des Apôtres pour le rendre accessible aux suivantes. Les strates de la tradition ecclésiale se superposent selon une continuité historique. Il n’y a donc aucune interruption à travers les âges dans la chaîne de transmission de la Tradition, à l’image de la parabole de Jésus : « C’est pourquoi tout scribe devenu disciple du royaume des Cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien. » (Mt 13,52).
Le Magistère de l’Église est chargé, entre autres, de s’assurer que ces interprétations plurielles sont conformes au témoignage des Apôtres sur l’évènement Jésus et à la Tradition. Celle-ci s’enrichit donc, au cours du temps et dans la fidélité à l’action du Saint-Esprit, de nouveaux textes saints (écrits des pères et des docteurs de l’Église, décisions conciliaires, bulles papales, …). Elle est vivante et cohérente sous l’autorité de ce Magistère, c’est-à-dire du pape et des autres évêques lorsqu’ils prennent position, soit collectivement lors des synodes ou des conciles, soit personnellement, sur des questions de foi et de mœurs.
La Tradition est donc le socle de la foi du chrétien. Le concile de Constantinople IV en 868-869 a ainsi affirmé que la Tradition est règle de foi pour les chrétiens. Pour demeurer fidèle, elle se doit d’être créatrice. Comme indiqué dans un autre de mes exposés auquel je me permets de vous renvoyer, celui sur la Révélation, rien de ce qui est transmis de génération en génération n’est inventé par les hommes mais la plénitude de la Révélation a été faite une fois pour toutes en et par le Christ et elle est achevée et définitive.
La Tradition islamique

Le mot « tradition » ne revêt pas la même signification que dans le christianisme.
Ce que les musulmans entendent par ce terme est la Sunna. Ce qui est transmis de génération en génération ce sont les préceptes et les réponses que Mahomet formulait aux questions qui lui étaient posées, ainsi que ses attitudes, actions et gestes (hadiths). Ce sont aussi ceux qui ont eu lieu en sa présence sans qu’il ne les désapprouve, ou ceux de ses très pieux compagnons. Cet ensemble est regroupé dans un corpus de livres et écrits appelé Sunna. Ils sont la tradition. Ils n’ont trait qu’à une seule personne, Mahomet, en ce qu’il a dit et fait. En plus des hadiths, on peut assimiler à la Sunna la (ou les) biographies de Mahomet (la sîra) écrite à partir de ces hadiths.
La Sunna sert de référence pour la compréhension et l’interprétation du Coran. C’est à l’aide des hadiths et des évènements de la vie de Mahomet que le fidèle s’éclaire lorsqu’il est devant un verset du Coran de portée générale ou qu’il a du mal à comprendre. Ainsi, si le Coran prescrit la prière rituelle, la Sunna en précise les modalités pratiques et leur codification. C’est aussi en faisant référence aux hadiths que les oulémas (ou docteurs de la loi) précisent le contenu de la loi islamique.
La Sunna est, après le Coran, la seconde source de référence de la loi islamique. Elle est normative puisque Dieu demande au fidèle de conformer sa vie à celle de Mahomet qui est qualifié de « modèle parfait » (33,21).
Les hadiths ont commencé à être rassemblés sous la dynastie des Omeyyades – qui gouverne depuis Damas le monde musulman de 661 à 750 -, mais de nombreux hadiths ont été ajoutés par la suite pour de multiples raisons : conviction religieuse, dessein politique, intérêt personnel, etc. Ce qui fait que le nombre de ceux qui sont considérés comme authentiques varie considérablement selon les auteurs qui les ont retenus. Le savant musulman égyptien Al Suyuti (1445-1505) en récitait quelque 200 000 ! Cette augmentation du nombre de hadiths ne pouvait se faire qu’au détriment de leur authenticité. Néanmoins, le sunnisme retient essentiellement les recensions des trois grands érudits qui sont les perses Al Boukhari (810-870), Mouslim (mort en 875) et l’arabe Malik ibn Anas (mort en 796), censés avoir recueilli des traditions saines et fiables.
Pour s’assurer de leur authenticité, les hadiths sont classés selon plusieurs critères. Comme il n’y a pas d’autorité universelle dans l’islam, ces critères et leur nombre ne sont pas identiques d’une école à l’autre. Louis Gardet dans son livre L’islam, religion et communauté en détaille trois. Une autre classification s’opère selon cinq critères. Elle fait ressortir combien certains peuvent être peu dignes de foi.
La recension et la critique des hadiths firent l’objet, au cours des siècles, d’une littérature très considérable et d’une activité intellectuelle intense que l’on appelle la « science du hadith« . Dans un souci de simplification, de commodité et d’efficacité, nombreux furent ceux qui composèrent des recueils d’une quarantaine de hadiths. Les Quarante hadiths d’Al Nawawi (1233-1277) font un peu référence en la matière.
Ainsi, si, dans le christianisme, chaque nouvelle génération, bénéficiant des interprétations de la Révélation fournies par les générations précédentes, y compris celle des Apôtres, est chargée d’enrichir ces interprétations au profit des suivantes, tout en restant évidemment conformes à la plénitude et au contenu de cette Révélation, dans l’islam, la chaîne de transmission ne repose que sur les compagnons de Mahomet et leurs successeurs immédiats et, depuis, chaque fidèle s’en remet aux éléments de tradition fixés dans le passé et s’y réfère au besoin. Il n’y a ni enrichissement ni continuité historique de la tradition en islam, mais un retour aux sources. A l’inverse de la tradition chrétienne dont une des caractéristiques est d’être vivante, la tradition musulmane est figée. Elle s’appuie sur les textes sacrés originels de l’islam, fixés une fois pour toutes. On est dans le conservatisme. Autant, dans le christianisme, la Tradition s’appuie sur les textes des docteurs de l’Église, des papes ou des conciles à travers les âges, autant dans l’islam, les seules références possibles sont le Coran et la Sunna. En outre, en l’absence d’une autorité spirituelle universelle, les interprétations de cette tradition musulmane relevant de chacun, celles-ci revêtent un caractère multiforme.
Henri de Saint-Bon
Henri de Saint-Bon, né au Maroc, est un ancien officier de l’armée de terre et consultant en organisation et ressources humaines, notamment en Afrique. Il s’est beaucoup investi au sein de l’association Clarifier. Il est l’auteur de Catholique/musulman : je te connais, moi non plus, avec Saad Khiari (F.-X. de Guibert, 2006), du Petit lexique islamo-chrétien (Éditions de l’Œuvre, 2012), du Christianisme oriental dans tous ses états (Le Livre ouvert, 2014) et de L’islam à la lumière de la foi chrétienne (Salvator, 2016), dernier ouvrage dont il tire la série d’articles publiés par Mission Ismérie.
En bref
Vision catholique | Vision islamique |
---|---|
La tradition chrétienne tient son origine du Christ. | La tradition musulmane tient son origine de Mahomet. |
Elle a pour but de transmettre la bonne nouvelle du salut et le commandement du Christ de s’aimer les uns les autres comme Dieu nous a aimés. Elle transmet un Amour. | Elle a pour but de transmettre ses attitudes, actions, gestes et paroles. Elle transmet un corpus de textes, la Sunna. |
C’est sur elle que repose la foi du chrétien. | C’est sur elle que le Coran est interprété et que la loi islamique est précisée. |
Ses fondements historiques sont avérés. | Ses fondements historiques dépendent de plusieurs critères. |
Ses explicitations et ses interprétations s’enrichissent au cours du temps et dans la fidélité à l’action du Saint-Esprit : elle est vivante. | Elle est immuable et figée. |
Pour approfondir : la « playlist » sur les Pères de l’Église (ou plutôt certains d’entre eux) proposée par la chaîne catholique KTO (série de vidéos à laquelle ont contribué des membres l’équipe des Sources Chrétiennes, ou leurs collaborateurs)

















