La Révélation
Islam et christianisme : fausses ressemblances, vraies différences – par Henri de Saint-Bon
La Révélation
Le christianisme et l’islam se proclament, comme le judaïsme, religions révélées.
Les chrétiens comme les musulmans affirment que, contrairement aux croyances dans les dieux antiques par exemple, leur religion respective ne résulte pas d’élucubrations des hommes ni de leur imagination, mais qu’elle s’impose à leurs fidèles qui professent qu’elle émane de Dieu.
Mais les uns et les autres donnent-ils le même sens au mot « Révélation » ?
Selon la vision chrétienne
C’est Dieu lui-même qui s’est révélé aux hommes. Son existence n’est pas une évidence, comme l’est la réalité du jour et de la nuit par exemple.
En outre, cette révélation de Dieu lui-même par lui-même a été progressive au cours des âges et s’est faite, si l’on peut dire, en trois temps.
En effet, Dieu a, d’abord et auprès du peuple juif qu’il avait choisi, révélé son existence et son identité. « Je suis celui qui suis » a-t-il dit à Moïse (Exode 3,14) vers l’an 1250 avant Jésus-Christ. Je suis Yawhé. Je suis celui qui existe depuis toujours. Je suis votre Dieu.

Puis, deuxième temps, à travers la succession chronologique des patriarches et des prophètes, depuis Samuel (né vers 1100 avant J.-C.) jusqu’à Jean-Baptiste (contemporain de Jésus-Christ), il a progressivement amené le peuple juif à le connaître, à le reconnaître et, en annonçant sa venue sur terre, à se tenir prêt à l’accueillir.
Il s’est montré en cela fidèle à l’Alliance qu’il avait conclue avec l’Humanité à travers Abraham.
Enfin, troisième temps, en se faisant homme et en se communiquant lui-même dans le Christ, il a révélé à toute l’Humanité son essence d’amour.
Car le Christ nous a fait connaître le Père et nous a annoncé l’envoi de l’Esprit Saint. Dieu s’est donc révélé comme fondamentalement trinitaire.
Mais, en même temps, à travers cette communication de lui-même dans le Christ, Dieu a révélé à toute l’Humanité son dessein du salut. Ayant créé l’homme par amour, il s’est sacrifié pour le sauver du péché et de la mort et pour qu’il participe à sa gloire dans l’au-delà.
Ainsi, pour un chrétien, la révélation de Dieu est celle de son existence, de son identité, de son essence d’amour ou trinitaire et de son dessein de salut.
Cette révélation de Dieu est devenue, par son Fils unique, achevée et définitive. Elle est close en Jésus-Christ, à la mort du dernier apôtre.
La plénitude de la Révélation nous a été donnée par le Christ à travers les Apôtres car, étant le seul à connaître le Père, le Christ – et lui seul – était capable de nous révéler le Père et de nous dire qui est Dieu et quelle est sa nature.
Comme écrivait saint Hilaire : « La plus grande œuvre du Christ est de nous avoir révélé le Père ».
Dans la vision chrétienne, il y a donc une progression de la Révélation dans le temps. Cette progression prouve la bonté de Dieu qui adapte sa parole à l’évolution de la pensée humaine. Elle s’est faite à travers les prophètes successifs, depuis les précurseurs jusqu’à Jean-Baptiste, le dernier d’entre eux. La Révélation s’est achevée et elle est parvenue à sa plénitude en Jésus-Christ. Elle ne peut s’être prolongée ultérieurement, l’Église n’attendant d’ailleurs – selon la constitution dogmatique Dei Verbum du concile Vatican II – « aucune nouvelle révélation publique avant la manifestation glorieuse de Notre Seigneur Jésus Christ ». La Révélation est donc ancrée dans le temps et l’espace.
Les musulmans ne retiennent pas cette vision
S’ils affirment que le Coran est parole de Dieu, ils récusent le caractère immanent de Dieu et ne retiennent que l’impénétrable transcendance dans laquelle ils le situent.
Pour eux, l’existence de Dieu est une évidence, au même titre que la réalité du jour et de la nuit ou de la vie et de la mort ou de l’œuvre de la nature. Elle ne résulte pas d’un acte de foi.
En fait, quand les musulmans utilisent le mot de « révélation », c’est pour l’associer à la parole de Dieu. Ce qu’ils appellent « révélation » est donc, pour eux, le Coran lui-même (2,185) dont ils soulignent le caractère « incréé » et « révélé ». On peut citer à ce sujet les versets 2,136 ; 4,163 ; 12,3 ; 12,109 ; etc. qui stipulent, je cite le 4,163 : « Nous avons envoyé une Révélation à Noé et aux prophètes après lui. Nous avons envoyé une Révélation à Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob, à Jésus, à Job, à Jonas, à Aaron, à Salomon. » Il s’agit bien là de la transmission du texte incréé, écrit de toute éternité par Dieu et inscrit sur une « table gardée par les anges au ciel », et qui, transmis à Mahomet, est le Coran.

Or le Coran est une loi. Cette révélation est donc leur loi.
Ainsi, dans l’islam, Dieu ne révèle ni son existence, ni son identité, ni son essence trinitaire, ni son dessein de salut mais révèle sa loi, tout simplement.
Pour l’islam :
- cette révélation s’est accomplie dès le début de l’Humanité, une fois pour toutes, d’un seul coup, sans progressivité, dans le cadre d’un pacte (mithaq) que Dieu a conclu dès l’origine avec celle-ci via Adam ;
- elle a été transmise aux hommes par tous les prophètes successifs depuis Adam ; elle a donc été transmise plusieurs fois mais de façon discontinue ;
- elle a encore été dictée à Mahomet, soit 600 ans après Jésus-Christ, au profit de l’ensemble de l’Humanité ;
- elle n’a pas évolué depuis le début, les différents prophètes n’ayant fait que la rappeler telle qu’elle est depuis ce commencement. Elle est donc déconnectée du temps et de l’espace et l’islam ne se situe pas dans la perspective de ‘l’histoire du salut’.
Or :
- L’Église proclame que le Christ est la vérité et l’avènement de toute chose et qu’en nous révélant le Père et en nous annonçant la venue du Saint-Esprit, il a tout révélé et a rendu définitive la rédemption ; elle ne peut admettre que la Révélation ait encore été transmise par Dieu quelque 600 ans après lui.
- L’islam ignore ou refuse de prendre en compte la connaissance de l’essence trinitaire de Dieu et son dessein de salut ; de ce fait, il apparaît un peu, vu sous l’angle du christianisme, comme une sorte de régression par rapport à cette nouveauté radicale que constitue et qu’apporte Jésus-Christ dans l’histoire des religions et que le christianisme considère comme un apport fondamental pour l’Humanité.
- Quant à la seule réalité révélée par Dieu selon l’islam et qui est la loi divine constituant le Coran, elle ne peut être admise en tant que telle par l’Église qui confesse que la seule vraie loi divine est celle de l’amour – amour de Dieu et amour du prochain -, telle que le Christ l’a enseignée.
Ainsi, nous sommes face à une divergence doctrinale essentielle entre ces deux religions.
Henri de Saint-Bon
Henri de Saint-Bon, né au Maroc, est un ancien officier de l’armée de terre et consultant en organisation et ressources humaines, notamment en Afrique. Il s’est beaucoup investi au sein de l’association Clarifier. Il est l’auteur de Catholique/musulman : je te connais, moi non plus, avec Saad Khiari (F.-X. de Guibert, 2006), du Petit lexique islamo-chrétien (Éditions de l’Œuvre, 2012), du Christianisme oriental dans tous ses états (Le Livre ouvert, 2014) et de L’islam à la lumière de la foi chrétienne (Salvator, 2016), dernier ouvrage dont il tire la série d’articles publiés par Mission Ismérie.
En bref
Vision catholique | Vision islamique |
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Dieu révèle son existence, son identité, son essence trinitaire et son dessein de salut. | Dieu révèle sa loi. |
Cette Révélation a été progressive au cours des âges. Elle s’inscrit dans l’histoire du salut. | Cette Révélation s’est faite une fois pour toutes, dès le début de l’Humanité. Elle a été retransmise plusieurs fois par la suite, de façon discontinue. |
Elle s’est ancrée dans le temps et dans l’espace. | Elle est déconnectée du temps et de l’espace. |
Elle est achevée et définitive depuis le Christ. Elle ne peut être prolongée après lui. | Elle est encore transmise à Mahomet, 600 ans après le Christ. |
La loi divine révélée est la loi de l’Amour. | La loi divine révélée est la loi du Coran. |
Pour approfondir : l’intervention de Mgr Jean-Pierre Battut lors du Forum Jésus le Messie de Blois, le 20 juin 2020, sur le thème « Dieu des chrétiens et Dieu des musulmans »