Quelques remarques chagrines sur le récent Synode
« Le processus synodal mis en œuvre à l’appel du pape François a mobilisé plus de 150.000 personnes en France. D’octobre 2021 à avril 2022, des équipes synodales se sont réunies à des échelles variées : diocèses, paroisses, mouvements, groupes spontanément constitués, congrégations religieuses… En fonction de leur contexte, ces équipes ont souvent choisi de traiter quelques-unes des questions envoyées par le secrétariat général du synode. Ensuite, un travail de synthèse et de discernement a été effectué à l’échelle des diocèses. Le processus synodal a suscité une participation généreuse dans beaucoup de lieux, avec le sentiment de vivre une expérience prometteuse, une démarche communautaire d’écoute et de discernement. Cette consultation a également rencontré des résistances de diverses natures », sur lesquelles je vais revenir ».
Collecte nationale des synthèses locales sur le Synode 2023 sur la synodalité, CEF, 9 juin 2022
Ainsi commence le document de synthèse de la « collecte nationale » qui, selon les termes de son paragraphe de présentation, « rend compte, à ce stade du processus synodal, de ce qui caractérise, affecte, mobilise et questionne le peuple de Dieu qui est en France. Il s’agit de l’écoute du peuple de Dieu qui fournit la matière nécessaire pour la suite du processus. Le 15 juin 2022 à Lyon, il a été promulgué par les évêques de France et les référents synodaux de chaque diocèse réunis en Assemblée plénière extraordinaire ».
Les conclusions de ce synode m’ont laissé sceptique pour plusieurs raisons.

Pertinence des « groupes participatifs »
La première a trait à mon expérience personnelle de la participation citoyenne. Je fais en effet le parallèle avec le Conseil de Développement de l’agglomération lyonnaise, dont j’ai été un des responsables au début des années 2000. « Forum citoyen » ouvert à tous, il a tout de suite été noyauté par des jeunes retraités militants, issus de la génération de 68, qui avaient tout le temps pour imposer leurs marottes à des actifs excédés, lesquels ne tardèrent pas à déserter. Les mêmes étaient toujours présents, ne lâchant jamais rien… On finissait par leur céder pour avoir la paix… avant de passer à la lubie suivante… A la fin il ne restait plus qu’eux. Il n’en est ressorti que des fadaises progressistes, convenues et dans l’air du temps, baptisées « propositions citoyennes », qui ne représentaient en rien les vues de ceux qui n’avaient eu ni le temps, ni la patience de participer. Et rien n’a été repris par les élus. J’en suis ressorti vacciné contre ce type de démarches, et leurs adeptes.
L’absence des jeunes et des jeunes adultes
Les évêques, parmi les « résistances de diverses natures » ont ainsi regretté l’absence « des jeunes et des jeunes adultes », ce qui englobe les étudiants et actifs – pour des raisons professionnelles ou familiales – qui avaient bien d’autres choses à faire que de débattre avec des retraités (on note quand même un « groupe de femmes trentenaires », fait suffisamment rare pour être souligné, qui de manière très originale se déclarent « révoltées par l’inégalité entre les femmes et les hommes, et ce dès le plus jeune âge, au sein de l’Église »). Les évêques ont aussi souligné « la crainte, chez certains catholiques, que ce processus serve à imposer des changements dans l’Église à laquelle ils sont attachés » : cette préoccupation est à mettre en lien avec la précédente, tant il est avéré que les plus âgés, dans l’Église, sont aussi bien souvent les plus progressistes, tandis que beaucoup des plus jeunes sont plus attachés à la tradition. Tout cela me rappelle exactement mon expérience du Conseil de Développement.
Des prêtres peu convaincus
Autre résistance, « la difficulté pour beaucoup de prêtres à reconnaître l’intérêt de ce synode ». Et on peut se mettre à leur place : à l’heure où les vocations se raréfient, de moins en moins nombreux et de plus en plus accablés de missions, soumis à une obligation de mobilité qui les oblige tous les sept ans à repartir à zéro dans une nouvelle paroisse, dans laquelle ils découvrent des armées de laïcs intrusifs, beaucoup n’en peuvent plus, et certains – comme on vient d’en avoir un dramatique exemple avec le suicide d’un prêtre – « pètent les plombs », épuisés par le harcèlement de laïcs. Était-il alors utile de leur en « remettre une couche » sur le thème du « cléricalisme » (un « fléau ») ?
Quelle légitimité des auteurs ?
Une autre raison à mon scepticisme tient à la prétention excessive de ce document. Le présenter comme « l’écoute du peuple de Dieu » me paraît très outrecuidant : donc, si je comprends bien, pour faire partie du peuple de Dieu, il fallait participer au synode ? Si je n’y ai pas participé – parce que je n’avais pas le temps, ou parce que ça n’était pas ma manière de voir les choses – je ne fais pas partie du « peuple de Dieu » ? Celui-ci se limiterait donc aux cathos « engagés » ? Même si le pourcentage de pratiquants réguliers n’est que 2 % de la population française, 150.000 participants n’en représentent pas plus de 10 % (et encore à condition que les participants soient tous des pratiquants réguliers). Peu de ce qui ressort des travaux correspond, non seulement à ce que je pense moi, mais aussi à ce que pense la totalité de mon entourage, familial, amical, ecclésial. Sur la place des femmes dans l’Église, ou sur le fait que l’Église serait trop centrée sur l’annonce et la messe, au détriment de « l’autre en difficulté » : des organisations humanitaires, ce pays en compte tant qu’on en veut, mais qui d’autre que l’Église peut annoncer la Bonne Nouvelle et célébrer la messe ? Comme le disait très justement le cardinal Sarah, on entre dans une église pour chercher Dieu, pas pour sauver la planète.
J’ajoute que nombre des propositions émises ne relèvent pas forcément de l’Église au sens institutionnel. « À chaque fois qu’on se réunit autour de la Parole de Dieu et qu’on cherche ensemble à comprendre, ça fait une communauté d’Église »… « Les « célébrations de la Parole » pourraient être plus souvent proposées en paroisse. En effet, elles permettent de rassembler largement toutes les personnes, indépendamment de l’accès au sacrement eucharistique : elles sont réellement un lieu d’unité. Elles offrent tout à fait la possibilité aux laïcs – hommes et femmes – de pouvoir commenter l’Ecriture et la forme de la prière peut y être plus libre et plus spontané ». Pourquoi enrober de jargon ecclésial des initiatives qui relèvent de l’initiative personnelle de laïcs, et peuvent très bien se tenir n’importe où, à commencer par chez soi ?
L’évangélisation, grande absente du document
Et surtout, on note l’absence presque totale d’allusion à l’évangélisation… le terme n’apparaît qu’une seule fois, dans une vague « coresponsabilité au service de la mission d’évangélisation ». On comprend mieux, dans ce contexte, la manière dont est perçu l’extraordinaire effort entrepris dans ce sens par le diocèse de Toulon.
« on note l’absence presque totale d’allusion à l’évangélisation… (…) Nulle part, les convertis n’apparaissent »
Les convertis, les moyens de les approcher, de les accueillir, n’apparaissent nulle part, et j’imagine leur frustration face à un document qui témoigne de l’entre-soi de « cathos de souche ». Trop de choses, dans ce texte, paraît relever du confort de pratiquants soucieux de se sentir plus à l’aise dans leur Église, au point que les évêques, conscients de cette absence, ont tenu à rappeler dans leur texte d’accompagnement des synthèses synodales combien la mission est l’essence même de la vocation de l’Église. Et de fait, nulle part, les convertis – de l’islam en particulier, ou autre origine, y compris l’athéisme – n’apparaissent parmi les auteurs de revendications collectées lors de ce synode. Soit qu’ils n’aient pas voulu, ou pu participer, soit que leur voix n’ai pas été entendue. C’est dommage, car ils constituent, une part de plus en plus importante de ce « peuple de Dieu qui est en France », avec des préoccupations bien différentes de celles qui ont été rapportées.
Jean-François Chemain
Jean-François Chemain est diplômé de Sciences Po Paris, agrégé et docteur en Histoire. Il a enseigné durant 10 années en ZEP, dans la région lyonnaise. Il est auteur de nombreux ouvrages sur la France, la laïcité et l’islam.