Meurtre de Nantes : vers une police et une justice communautaires ?
On assiste, depuis une décennie, à la multiplication, en France, des meurtres de « chrétiens » (au moins culturels) par des musulmans. Qu’il s’agisse d’attentats de masse, comme celui de Charlie Hebdo, du Bataclan ou de Nice, ou de meurtres individuels, dont la liste des victimes ne cesse de s’allonger, l’une chassant rapidement l’autre dans la conscience des Français. Surtout que, les familles en témoignent, l’omerta médiatique est de règle. « Assassinat d’Alban Gervaise, médecin militaire et catholique : l’incroyable omerta » titrait ainsi Le Figaro du 14 juin dernier. Et de préciser : « Ce père de famille a été tué en mai au nom d’Allah, devant une école catholique. Depuis, c’est l’indifférence médiatique et politique ».
« vous n’aurez pas ma haine »
La rhétorique est en effet toujours la même : ces crimes seraient le fait de personnes mentalement « dérangées ». Circulez, il n’y a rien à voir ! Il faudrait avoir l’esprit vraiment mal tourné pour constater la récurrence de crimes gratuits, dans le même sens (musulman contre « infidèle »), régulièrement au couteau, souvent avec l’égorgement (Cor. 47,4 : « frappez-les au cou »). « Dès lors que des problèmes psy sont évoqués, regrette la députée Valérie Boyer, c’est toujours dramatique mais ça devient du fait divers. On n’a pas à se demander pourquoi ces “fous” ont des profils proches, des modes opératoires similaires – le couteau – et choisissent leurs victimes selon des critères bien déterminés ».
La colère de certains français monte sourdement, à quoi les autorités politiques et journalistiques répondent invariablement par des leçons de morale sur le mode « pas d’amalgame », « vous n’aurez pas ma haine », etc…
En témoigne cette discussion surréaliste au procès de l’attentat de Nice :
« – Stéphane (dont la femme a été tuée sous ses yeux et ceux de leurs enfants) : Antoine Leiris a écrit un livre magnifique : Vous n’aurez pas ma haine. Mais moi je n’arrive pas à le lire, je ne m’y retrouve pas. Tout ce que je peux leur tendre, c’est ma haine. J’espère qu’ils pourriront en prison. Je suis désolé de penser ça, j’en ai honte.
– Maître Jacquin (avocat de la défense) : Nous entendons votre douleur et votre colère. Mais l’appel à la haine que vous avez fait est contraire à la dignité des débats.
– Le Président du tribunal : Vous avez le droit de ressentir de la haine, mais elle n’a pas sa place dans l’enceinte judiciaire ».
On distingue trop clairement dans ces sermons, même s’il est totalement nié, un fond évangélique, pour qu’il soit nécessaire de s’y étendre. Tendons la joue gauche, aimons nos ennemis, ne regardons pas la paille qui est dans l’œil de l’autre, voilà l’alpha et l’oméga de la morale que nous ressassent ad nauseam nos clercs républicains et laïcs.
Pour eux, le seul véritable danger, c’est la récupération par une « extrême-droite » fantasmée comme le miroir de nos « peurs » et de nos « haines ». Qu’une centaine de jeunes viennent crier sur une place lyonnaise leur colère à la suite du meurtre de la petite Lola, et voilà le Maire de Lyon écrivant solennellement au Président de la République lui-même (le Ministre de l’Intérieur, ce ne serait pas assez) pour réclamer la dissolution de l’association organisatrice de la manifestation, elle-même issue d’une autre association récemment dissoute. On voudrait dissoudre la colère, faute de pouvoir en dissoudre la cause.
Justice et police communautaires ?
Dans le même temps, on apprend qu’à Nantes une « femme voilée » a été assassinée de 23 coups de couteau à un arrêt de bus. Meurtre gratuit, à 7 heures du matin, d’une mère de famille musulmane se rendant à son travail. Déjà, sans aucune preuve, les esprits s’échauffent. Nombre de musulmans crient à l’acte islamophobe, à l’instar du Journal du musulman qui titre : « Nantes : Une femme de 47 ans, voilée, assassinée suite à une attaque visiblement islamophobe ». Tandis que le maire musulman de Stains tweete : « Une pensée émue à Nadia Hassade 47 ans, mère de 4 enfants et qui portait le voile, poignardée en pleine rue tôt le matin, alors qu’elle se rendait à son travail. Un crime odieux et islamophobe. Le procureur n’exclut pas la motivation raciale ou religieuse, et silence des médias ! ». La presse du Maghreb abonde également dans ce sens.
Je rappelle ici ce que j’ai développé dans un précédent article : la violence islamique se nourrit d’un lancinant discours de victimisation, qui trouve ici pleinement à s’exprimer.
Face à une Justice républicaine jugée trop lente pour faire la lumière sur ce crime qui touche leur communauté, la famille, le quartier se mobilisent. Une enquête privée s’organise, pour trouver l’assassin d’une « sœur ». Le dimanche suivant, sur la page Facebook du Bellevue Boxing Club, paraît ce communiqué, dont j’ai conservé l’orthographe : « En association avec C West, la JSC Bellevue, l’association nantaise de Futsal et de Bellevue Athlétique Forme nous ne ferons pas entraînement cette semaine. Le tueur n’est pas arreté, nous n’avons aucune garantie poiur la sécurité des mamans, des enfants, et cela jusqu ‘à ce que justice soit faite. La mère de l’un de nos boxeurs s’est faite assassiner lâchement ce matin (7h15) en allant au travail, après l’émotion place à la colère et tant que l’assassin n’est pas arrêté nous demandons aux familles de rester chez eux et de ne pas sortir seul. Les jeunes hommes du quartier sont à cran et veulent se faire justice eux-mêmes malgré nos appels au calme et à la retenue. Nous exigeons que la justice Nantaise fasse de cette affaire une priorité locale. Nous restons mobilisés auprès de la famlille et partageons sa peine, mais nous smmes aussi déterminés à demander des comptes à l’Etat sur l’avancement de l’enquête ».
S’affranchissant des règles de la procédure pénale dans le souci d’aller vite, les proches de la victime (qui aurait 11 frères et sœurs) entament une enquête expéditive et musclée, qui aboutit rapidement à la découverte d’un suspect. Celui-ci est d’origine… tiens, les premières informations affirmaient « indo-pakistanaise », et donnaient son nom, mais à l’heure où j’écris ces ligne ces deux informations semblent avoir totalement disparu du net. Il aurait avoué avoir trucidé la pauvre femme, pris d’une pulsion de meurtre incontrôlable.
Les autorités républicaines s’inquiètent de l’émergence d’une police privée. Certains, notamment à droite, s’en réjouissent, prompts à dénoncer l’impuissance d’une institution dont l’action serait, à leurs yeux, entravée par trop de précautions. On rêve de milices privées…

Ce qui me paraît, à moi, particulièrement inquiétant, c’est que ce précédent réussi cache mal une police communautaire destinée à faire justice du meurtre d’un membre de la communauté. Le fait que la victime ait été « une femme voilée » n’a pas été pour rien dans le zèle déployé par les habitants « du quartier ». On pense aux autres agressions commises dans l’indifférence générale. Quid, par exemple, de cet ancien journaliste du Progrès de Lyon, récemment battu à mort dans le hall de son immeuble, et dont la sacoche a été retrouvée dans le secteur bien connu de La Guillotière ? L’assassin court toujours et « le quartier » ne s’en émeut guère. Gageons pourtant qu’avec une mobilisation égale à celle de Nantes il serait identifié depuis longtemps. Sans doute la victime manquait-elle, pour avoir droit à la justice, de frères, de cousins et de voisins diligents. Ou de coreligionnaires…
Jean-François Chemain
Jean-François Chemain est diplômé de Sciences Po Paris, agrégé et docteur en Histoire. Il a enseigné durant 10 années en ZEP, dans la région lyonnaise. Il est auteur de nombreux ouvrages sur la France, la laïcité et l’islam.