Mais quand donc est né l’islam ?
Connaitre l’islam avec Mission Ismérie, par Odon Lafontaine

Mais quand donc est né l’islam ?
Les découvertes relatives aux origines de l’islam ont mis en évidence qu’il n’est pas vraiment né en tant que tel avec Mahomet, ni même avec la « conquête arabe ». Nous avions vu précédemment que le « Mahomet de l’histoire » prêchait bien davantage le retour imminent sur terre de Jésus, dans le contexte général des attentes apocalyptiques exacerbées du VIIe siècle. Le groupe de Mahomet semblait ainsi focaliser ses attentions sur la prise de Jérusalem et le relèvement de son Temple (le « lieu d’Abraham », lieu de la « présence de Dieu », centre névralgique du culte juif, détruit par les Romains en 70). C’est ce qu’il advint à la fin des années 630. Plusieurs sources indépendantes et convergentes le décrivant ont été (re)découvertes par les chercheurs ces dernières années.
Plus globalement, la découverte de sources non-musulmanes du VIIe siècle et au-delà [1] change ainsi radicalement notre compréhension des événements. On se reposait précédemment pour l’essentiel sur la tradition musulmane, mise par écrit à partir des VIII-IXe siècles et racontant l’histoire d’un prophète ayant reçu une révélation divine, le Coran, la prêchant à ses congénères de l’Arabie déserte qui partirent à sa suite conquérir glorieusement le monde et y répandre l’islam. Or, ces sources nouvelles – documents, vestiges archéologiques, pièces de monnaies… – démentent ce récit. On n’y voit pas l’émergence du nouvel État islamique unifié et centralisé par les « successeurs de Mahomet », mais des prises de pouvoir opportunistes par des chefs arabes dans les divers territoires des deux grands empires perses et byzantins épuisés par leur guerre totale achevée en 628 avec l’écrasement de la Perse. En Égypte, à Jérusalem, à Damas, en Mésopotamie, on assiste à une forme de transfert du pouvoir colonial aux nouveaux maîtres arabes, transfert facilité par le rôle qu’ils tenaient auparavant comme auxiliaires (entre autres militaires) des empires. Certes, il y eut des batailles, mais on ne trouve nulle part les vestiges d’une « conquête » (ruines, sources documentaires), et certainement pas d’une conquête menée au nom d’une religion nouvelle.
Les nouveaux maîtres arabes sont d’abord vus, en effet, comme des chrétiens à la christologie plus ou moins déviante, inspirant parfois la crainte, mais s’inscrivant toujours dans la sphère perso-judéo-chrétienne du Proche Orient sur les plans civilisationnels, culturels et religieux. Ils reprennent les structures des pouvoirs impériaux, leurs fonctionnaires, leurs calendriers, leurs monnaies et les symboliques de leurs pouvoirs – monnaies frappées à l’Ouest (byzantin) de croix chrétiennes et figures impériales (a), et à l’Est (persan) des emblèmes du zoroastrisme, culte du feu, croissant et étoile, et de la figure de l’empereur (b).

frappée entre 661 et 684 par Muawiya Ier (Clive Foss, « Coins of two realms », in Aramco World 66, n°3)

Ils n’imposent pas l’arabe. Ils n’évoquent pas le « prophète Muhammad ». Ils ne convertissent pas à l’islam. Ils n’imposent pas de symbolique islamique. On raconte comment leurs chefs font leurs dévotions dans les églises et sanctuaires chrétiens. On retrouve même une plaque commémorative évoquant Muawiya Ier (5e calife selon la tradition musulmane) introduit par une croix chrétienne !

introduite par une croix chrétienne et mentionnant Muawiya Ier ; (Wikimedia Commons)
Peut-on alors réellement parler d’islam avec ces premiers chefs arabes ? Non, même si l’on trouve déjà certains éléments que reprendra l’islam. Il faut attendre la mise en place de l’empire d’Abd al Malik, à partir de 685, et plus encore de l’empire abbasside, après 750, pour trouver les fondations de l’islam, ses textes, son prophète, sa religion, son système. Mais cela, nous le verrons dans de prochaines publications.
[*] Voir en particulier Alfred-Louis de Prémare, Les fondations de l’islam, Seuil, 2002 ; Robert Hoyland, Seeing Islam as Others saw it, Darwin press, 1997 ; Michael Philipp Penn, When Christians First Met Muslims: A Sourcebook of the Earliest Syriac Writings on Islam, University of California Press, 2015 ; Stephen J. Shoemaker, A Prophet has appeared, University of California Press, 2021