Dieu
Islam et christianisme : fausses ressemblances, vraies différences – par Henri de Saint-Bon
Dieu
Islam et christianisme sont deux religions dites « monothéistes », qui se réfèrent donc au Dieu unique. Mais s’agit-il du « même Dieu » ? Oui, bien sûr, si l’on considère qu’il n’y a qu’un seul Dieu, créateur de toutes choses – mais dans ce cas, il est aussi le Dieu des athées, des incroyants ou des pêcheurs à la ligne, qu’il a tout autant créés que ceux qui croient en lui. Et donc, il faut nous élever au dessus du concept de « même Dieu » pour comprendre que chrétiens et musulmans n’en ont pas la même vision, n’entretiennent pas les mêmes rapports avec lui. Au point d’aboutir à deux notions de Dieu singulièrement différentes, si ce n’est antagonistes.
Et comme toujours pour les articles de cette série « Islam et christianisme : fausses ressemblances, vraies différences », vous trouverez en fin d’article un tableau de synthèse récapitulant les fausses ressemblances et les vraies différences.
Dieu selon l’islam

La croyance la plus forte du musulman, celle qu’il récite pieusement cinq fois par jour, celle en dehors de laquelle il n’y a pour lui aucune possibilité de pardon de Dieu, est que « il n’y a de Dieu que Dieu » et il lui ajoute immédiatement, puisqu’elle lui est corollaire, « et Mahomet est son prophète ».
Cette proclamation de l’unicité de Dieu (Coran 112,1) constitue le point d’ancrage le plus important, le sommet, de toute la religion islamique. Elle est ce que celle-ci appelle le ‘tawhid’. Le musulman voit Dieu comme un absolu unique et c’est au nom de cette unicité qu’il refuse tout ce qui peut lui apparaître composé en Dieu, et donc la Trinité.
Pour un musulman, l’existence de Dieu est une évidence. Dieu est par évidence. Dans l’islam, Dieu ne révèle pas son identité comme il le fait en disant à Moïse : « je suis celui qui suis ». Il n’y a aucun verset dans ce sens dans le Coran. Le croyant ne se pose pas la question de son identité, pas plus qu’il ne s’interroge sur la réalité du jour et de la nuit ni sur celle de la croissance et de la reproduction du monde animal ou végétal.
Quelle vision un musulman a-t-il de son Dieu ?
A ce Dieu unique, Allah, sont attribués 99 ‘beaux noms’. Deux d’entre eux le qualifient d’’inaccessible’ et d’’impénétrable’. La limitation du langage humain restreint sa description. Il est ‘là-haut’ si l’on peut s’exprimer ainsi – il ne s’agit que d’une image -, tandis que l’homme est ‘en bas’ ou ‘ici-bas’.
Pour un musulman, il y aura toujours une distance infranchissable entre Dieu et l’homme, même si l’homme tente de s’en approcher et même si « Dieu est plus près de l’homme que sa veine jugulaire » (50,16).
Dieu est situé dans son impénétrable transcendance. Il est inconcevable qu’il en sorte, de même qu’il est inconcevable que l’homme puisse remettre en cause ce principe de croyance absolument fondamental. C’est pourquoi il est interdit de le représenter par une image, une icône ou une statue.
Il est également inconcevable « qu’il y ait pour lui un fils » car Dieu est « trop élevé » (4,171). Dieu n’est pas Père et affirmer le caractère immanent de Dieu est le pire des péchés.
Alors que, pour un chrétien, ce Fils, Jésus-Christ, est l’indispensable et seul médiateur entre Dieu et l’homme, l’islam, en récusant toute médiation hormis celle, figée, du Coran, rend d’une certaine manière Dieu inaccessible à l’homme.
Et Allah est un être solitaire.
Cette croyance musulmane est simple. Elle est compréhensible de tous. Elle situe l’homme par rapport à Dieu. Dieu et l’homme cohabitent en quelque sorte. Chacun est dans sa sphère, chacun reste à sa place.
La vision du christianisme est tout autre

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Pour un chrétien, l’existence de Dieu est un acte de foi. Ce n’est pas une évidence. Il croit que Dieu existe car il a lui-même révélé son existence (« je suis celui qui suis »). D’emblée, la perception qu’il a de Dieu n’est pas celle du musulman.
Ce Dieu est certes unique mais il est trinitaire. A cette unicité de Dieu proclamée aussi par l’islam, s’ajoute l’unité de Dieu. Dieu est Amour, il n’est qu’Amour et il ne peut donc que rayonner, que se communiquer. Cette communication de toute éternité et tout le temps, c’est sa Parole qui, à un moment de l’histoire des hommes, prend la condition humaine, qui se fait chair. Mais cette chair est tellement intégrée à Dieu qu’elle est Dieu lui-même. Et de cette union intégrale sans confusion entre le Père et le Fils découle un rayonnement qui inonde l’Univers. C’est le Saint-Esprit. Ce Saint-Esprit ne peut être lui-même que Dieu. Il ne peut être autre chose, tout en étant différent puisqu’il a sa propre relation de rayonnement avec le Père et le Fils.
Tel est – en des mots bien maladroits et inadaptés tant ces choses-là dépassent la raison humaine – le Dieu trinitaire que confessent les chrétiens.
L’affirmation de la nature trinitaire de Dieu est le fondement de la foi chrétienne.
Dieu est unique. Mais il s’est révélé en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Il ne s’agit pas d’une élucubration intellectuelle des premiers chrétiens mais bien d’une vérité au contenu complet et définitif, révélée par Dieu lui-même à travers sa Parole.
Dieu est Père. C’est ainsi que Jésus s’adressait à lui et parlait de lui. Nous sommes tous ses enfants et, par là même, nous sommes tous frères.
L’union entre le Père et le Fils est totale, illimitée, éternelle, infinie. Et l’amour entre eux est si fort et si vivifiant que non seulement il engendre le Saint-Esprit qui est donc le fruit de cet amour, mais aussi que ce fruit, ce sceau de l’amour entre le Père et le Fils, ne peut être qu’une personne vivante. Cette personne rayonne sur l’humanité et dispense en permanence et en tous lieux la grâce de Dieu.
Selon la belle formule de saint Grégoire de Nysse, au IVe siècle, « le Père est aimant, le Fils est aimé et le Saint-Esprit est l’Amour ».
Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont donc trois personnes différentes du même Dieu unique et un. Cela ne peut se comprendre que si l’on admet que Dieu est Amour. C’est la nature même de Dieu d’être Amour. Il ne peut pas faire autrement que d’aimer à tout instant et éternellement. Ce n’est pas qu’il rayonne d’Amour comme de quelque chose venant de lui mais qui ne serait pas lui-même, un peu comme un être humain qui pourrait le faire. Non, il EST Amour.
Puisque le Coran affirme (comme le christianisme) la toute-puissance de Dieu et son unicité, pourquoi les musulmans trouveraient-ils déraisonnable de la part des chrétiens que Dieu, à qui ils admettent que rien n’est impossible, se révèle sous différentes formes ?
Ces trois personnes, qui ne sont distinctes que par les relations qu’elles entretiennent entre elles, ont une unique nature, une unique substance et ne sont qu’un seul et même Dieu. Entre elles, il n’y a ni supériorité ni infériorité. Toutes trois sont égales en puissance, en sagesse, en bonté. Elles ne s’additionnent pas pour former ce seul Dieu, comme trois tiers s’additionneraient pour former l’unité. Chacune est totalement Dieu, et aucune des trois ne l’est sans les deux autres. C’est ce qu’entend signifier saint Grégoire de Nazianze quand il écrit : « L’Un s’épand en Trois. Les Trois se recueillent en l’Un. »
Ainsi, quand les chrétiens affirment que Dieu est trinitaire ou que Dieu est Amour, ils proclament la même vérité. Car, Dieu étant Amour, il est trinitaire et étant trinitaire, il est Amour. Et ils proclament en même temps l’unicité et l’unité de Dieu.
La vision chrétienne de Dieu est infiniment plus complexe, plus profonde – on le voit – que la vision islamique.
- Dans l’islam, Dieu est un absolu qui est extérieur à nous-mêmes et au monde, c’est-à-dire une réalité d’un autre ordre que celles que nous saisissons par notre expérience sensible. Dans le christianisme, Dieu est aussi un absolu mais Il est un absolu personnel qui entre en relation avec chacun de nous, à qui nous pouvons parler et qui est bienveillant envers nous.
- Dans l’islam, c’est l’homme qui va vers Dieu. Dans le christianisme, c’est Dieu qui va d’abord vers l’homme en se faisant homme lui-même. Le sens de la relation entre les deux est inverse.
- Dans l’islam, entre Dieu et l’homme il y a cohabitation : chacun est dans sa sphère. Dans le christianisme, il y a habitation. « Dieu a habité parmi nous » (saint Jean – prologue de son Évangile).
- Dans l’islam, entre Dieu et l’homme il peut y avoir proximité. Dans le christianisme, il y a intimité. Dieu a été l’un d’entre nous. Il s’est abaissé à prendre par pur amour la condition humaine. La différence est infinie.
- Dans l’islam, Dieu est un être solitaire. Dans le christianisme, Dieu est essentiellement un être de relation : relation en lui-même au sein de la sainte Trinité, relation avec l’ensemble de l’Humanité et relation personnelle avec chacun de nous. Il est un être qui se communique.
Tentons une illustration. Considérons que Dieu et l’homme sont les pôles de deux aimants magnétiques. Dans l’islam, ils sont du même pôle : ils ne peuvent se rejoindre. Dans le christianisme, il s’agit de pôles opposés : ils s’attirent puisque Dieu s’est fait homme. Certes, cette illustration est limitée puisque la réciproque n’est pas vraie : l’homme ne se confond pas avec Dieu évidemment.
Ainsi, si ce Dieu unique dont chacune de ces deux religions affirme l’existence est bien le même pour les chrétiens comme pour les musulmans – d’ailleurs, la prière musulmane est sûrement agréée par le Dieu de nature trinitaire si elle est sincère ; et pourquoi en douter ? -, cependant, la connaissance et la vision que les uns ou les autres en ont est fondamentalement différente.
Pour tenter à nouveau une illustration, considérons que les uns comme les autres sont dans la même géométrie euclidienne. Les uns comme les autres admettent la ligne avec sa pureté, sa rectitude, son infinité,… Mais – et ceci n’a rien de péjoratif et ne constitue évidemment pas un jugement sur la capacité de conceptualisation des musulmans ni sur leur niveau en mathématiques !! – ces derniers ne connaissent pas la surface et le volume de cette géométrie. Ils n’imaginent pas que ces deux dimensions supplémentaires pour Dieu puissent exister. Ou du moins, ils les rejettent. Car l’islam n’a pas reçu ou n’a pas accepté la révélation de la nature trinitaire de Dieu, révélation dont il est bon de rappeler qu’elle n’est justement pas une élucubration intellectuelle des hommes mais bien une vérité révélée par Dieu.
Henri de Saint-Bon
Henri de Saint-Bon, né au Maroc, est un ancien officier de l’armée de terre et consultant en organisation et ressources humaines, notamment en Afrique. Il s’est beaucoup investi au sein de l’association Clarifier. Il est l’auteur de Catholique/musulman : je te connais, moi non plus, avec Saad Khiari (F.-X. de Guibert, 2006), du Petit lexique islamo-chrétien (Éditions de l’Œuvre, 2012), du Christianisme oriental dans tous ses états (Le Livre ouvert, 2014) et de L’islam à la lumière de la foi chrétienne (Salvator, 2016), dernier ouvrage dont il tire la série d’articles publiés par Mission Ismérie.
En bref
Vision catholique | Vision islamique |
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Dieu est transcendant et immanent car, étant essentiellement Amour, il s’incarne. | Dieu n’est que transcendant. |
Dieu est trinitaire par nature : Père, Fils et Saint-Esprit. | Dieu n’est ni Père, ni Fils, ni Saint-Esprit. Ces réalités sont contraires aux croyances du musulman. |
Le Fils est médiateur. Il nous est intime. | Dieu est inaccessible et impénétrable. |
Dieu est au-dessus mais aussi dans l’homme : on est dans un système d’habitation. | Dieu est seulement au-dessus de l’homme : on est dans un système de cohabitation. |
« Dieu existe, je l’ai rencontré ». | Dieu existe. |
Dieu est un être de relation qui se communique. | Dieu est un être solitaire. |
Dieu va vers l’homme. Lui-même se fait homme. | L’homme doit aller vers Dieu. |
Unicité et unité de Dieu : Dieu est unique et un. Il est un ET trinitaire. | Unicité de Dieu seulement. Dieu est unique. |
Pour approfondir : l’enseignement de Mgr Jean-Pierre Batut, évêque du Diocèse de Blois, donné lors du Forum Jésus le Messie de Blois, le 20 juin 2020. Philosophe, théologien, Mgr Batut a notamment écrit le livre Qui est le Dieu des chrétiens ? (avec Rémi Brague, éd. Salvator, 2011).