Comment Dieu touche les cœurs des musulmans
Tertullien, auteur chrétien de la fin du IIe siècle, originaire d’Afrique du Nord, a écrit : « on ne naît pas chrétien, on le devient ». Le christianisme implique une conversion, une rencontre personnelle avec le Christ, telles celles de saint Paul sur le chemin de Damas, de Paul Claudel derrière son pilier, ou encore d’André Frossard – alors juif, communiste et athée – qui témoignait : « j’ai rencontré le Christ comme on rencontre un platane ».
Comme eux, de nombreux musulmans se convertissent au christianisme, surtout au protestantisme évangélique, certains au catholicisme. On en parle peu, je dirai pourquoi dans mon prochain article. Ce que je souhaite montrer ici, à travers les témoignages de convertis, notamment ceux que j’ai interviewés pour écrire mon livre Ils ont choisi le Christ, c’est la façon dont ils ont été touchés par notre religion. À quoi ressemblait le platane… Et on verra que Dieu a de fait beaucoup d’imagination.
Notons pour commencer qu’il n’existe pas de profil-type du converti, de prédisposition à la conversion. Celle-ci touche des hommes comme des femmes, de tous âges, des riches et des pauvres, des personnes originaires de tous les pays musulmans, voire d’ex-chrétiens convertis à l’islam, des homosexuels aussi bien que des hétérosexuels, des croyants fervents ou tièdes… Des musulmans « lambda », en somme. Peut-être le seul point commun pourrait être une recherche, une ouverture, un cri vers Dieu.

Ce cri est souvent poussé dans une situation de détresse, un imprévu qui vient bouleverser une vie rangée et sans questions, parfois un drame, un choc. Comme la maladie, l’annonce d’un cancer, par exemple, ou les problèmes de couple – découverte d’un adultère, brusque départ du conjoint. L’abandon parental. Ou encore une violente agression dont on se tire, handicapée, après trois mois de coma et la mort de son mari. La douleur, le désespoir, la perte de tous les repères rassurants font crier vers Dieu, dans la solitude de sa chambre, hors de toute pression communautaire ou obligation de conformisme. Et Il répond souvent.
C’est parfois une grande frayeur, comme celle de ce sportif algérien, qui s’égare au cours d’une randonnée en montagne, et craint de faire une mauvaise rencontre (on est dans les années de plomb du terrorisme). Tel un mantra, il récite le nom de Marie, pour laquelle les musulmans éprouvent une grande ferveur… Et on lui répond.
Après le cri vient la rencontre, qui peut prendre plusieurs formes.
Celle, tout d’abord, d’une apparition, comme cette jeune femme qui, en plein divorce, après avoir prié « tous les prophètes de l’islam » avant de s’endormir, donc aussi Jésus, se réveille au milieu de la nuit et le voit au pied de son lit. Ou cette coiffeuse qui distingue, dans le miroir où se reflète sa cliente, l’arrivée du Christ à Jérusalem sur son âne : elle apprend alors qu’on est la veille du dimanche des Rameaux. Parfois c’est Marie qui apparaît, comme à ce jeune égyptien en plein combat spirituel dans le secret de sa chambre, enveloppée d’un doux halo de lumière.
Souvent aussi c’est un songe. Avant de découvrir Jésus près de son lit, la jeune femme a fait plusieurs rêves où elle retrouvera, plus tard, des scènes précises des évangiles. Un garçon appelle sa tante, sans savoir qu’elle est convertie, pour lui raconter ce songe et lui en demander l’interprétation : il est au bord d’une rivière, de l’autre côté de laquelle un bel homme les bras en croix, vêtu d’un habit lumineux, lui demande de traverser pour le rejoindre, alors qu’un petit barbu en colère tente de le retenir.
La rencontre n’est toutefois pas toujours aussi directe, passant alors par un intermédiaire. Notre sportif égaré finit, à force d’invocations à Marie, par rencontrer une piste, où passe bien à propos une vieille 4L. Le chauffeur, après lui avoir proposé de monter, ce qu’il n’ose accepter par peur d’être enlevé, lui indique le village le plus proche et lui tend un livre, qu’il dévorera une fois arrivé : un évangile. De la même façon une femme rentrant de faire ses courses en découvre un sur le parking, sous sa voiture : qui l’a déposé là ?
De nombreux convertis sont touchés par quelqu’un – que l’une d’eux qualifie « d’être de lumière » – qui, sans même le faire exprès, témoigne de la profondeur de sa foi par sa seule manière d’être. Un étudiant très pieux et pratiquant est bouleversé de ce qu’une vieille dame lui cède sa place dans le métro, alors qu’il marche avec des béquilles. « Comment, se dit-il, puis-je penser qu’elle mérite, parce qu’elle est chrétienne, d’aller en enfer ? ». Une jeune fille est touchée par la joie d’une famille catholique chez qui elle fait régulièrement du baby-sitting, une autre par la sollicitude d’une petite communauté de religieuses qui apporte à son père, au chômage, une enveloppe pour l’aider à nourrir ses nombreux enfants. « L’être de lumière » n’est pas en situation d’évangélisation, il ne se dit pas « chrétien », il agit simplement en chrétien, et vient alors briser le cercle vicieux de la victimisation, que j’évoquais dans un précédent article. Il faudrait avoir le coeur bien dur pour continuer de se poser en victime d’une catégorie de personnes dont un ou plusieurs membres nous ont spontanément et gratuitement fait du bien.
Il peut arriver que cette personne soit un enseignant : j’ai eu vent de cette jeune fille du quartier où j’enseignais, séquestrée par sa famille parce que devenue chrétienne, à cause de son professeur d’Histoire. J’ignore si c’était moi, nous étions nombreux sur le secteur !
Dieu se manifeste souvent aussi par des miracles, dont le plus frappant est sans doute la guérison inexplicable d’une personne à l’article de la mort, qui peut s’accompagner d’une apparition, du Christ ou de la Vierge.
La conversion peut être préparée, en amont, par l’apparition de sérieux doutes sur l’islam. La lecture de l’Évangile que lui a donné son voisin de chambrée fait apparaître bien décevante celle du Coran à l’irakien Joseph Fadelle. De même Nahed Mahmood Metwalli, directrice d’école égyptienne, se trouve de plus en plus déçue par ce qu’elle y lit sur les femmes. D’autant qu’à toutes ses questions on répond qu’elle doit cesser de s’en poser… Du statut d’infériorité de la femme aux violences faites aux femmes, il n’y a qu’un pas : une convertie a témoigné dans un livre du rôle dans sa conversion des épouvantables sévices que son père infligeait, en toute bonne conscience à sa mère.
Fait générateur, ou conséquence immédiate de la conversion, les convertis témoignent généralement du sentiment d’oppression qu’ils éprouvaient dans l’islam : « réglementation » de tous les gestes de la vie, contrôle communautaire permanent, impossibilité de se poser des questions, ou d’obtenir des réponses quand on ne peut s’en empêcher, sentiment permanent de victimisation, mépris de tout ce qui n’est pas musulman… Le besoin de « sortir de prison », ou la satisfaction, a posteriori, de l’avoir fait…
J’ai souligné, au début de cet article, que les conversions de musulmans au christianisme se font le plus souvent à travers le protestantisme évangélique, beaucoup plus décomplexé dans l’annonce que le catholicisme, et j’approfondirai, dans un prochain article, les causes de notre frilosité. Il faut, certes, évangéliser : « malheur à moi si je ne prêche pas l’évangile ! » (Paul, 1 Cor. 9, 16). Mais on aura constaté que, dans tous les cas ici évoqués, Dieu agit de sa propre initiative, se manifestant quand Il le veut, et comme Il veut.
Jean-François Chemain
Jean-François Chemain est diplômé de Sciences Po Paris, agrégé et docteur en Histoire. Il a enseigné durant 10 années en ZEP, dans la région lyonnaise. Il est auteur de nombreux ouvrages sur la France, la laïcité et l’islam.